700 000 personnes consommeraient quotidiennement du cannabis en France, selon l'OFDT. Photo François Nascimbeni. AFP
En France, le débat autour de législation sur les stupéfiants s'enlise dans l'immobilisme et le statu quo, tandis que la jeunesse du pays reste une des plus consommatrices de cannabis d'Europe.
Depuis trente ans, quarante ans, bientôt cinquante ans, tout change, tout évolue, tout se transforme, tout, sauf la législation sur les stupéfiants. Ce sujet semble tellement terrorisant, politiquement dangereux, socialement instable, du moins le pensent-ils, que les pouvoirs publics et les politiques préfèrent renvoyer à plus tard ou noyer dans des nuages de fumée ce qui ne constitue même pas une politique de santé publique. Avec leur loi de 1970, le principe de base reste le même : le salut par la prohibition et la répression plus ou moins globales, plus ou moins brutales. Cette posture remplace toute réflexion, discours, échange.
L’illusion du CBD
Cela peut même amener à la confusion des genres et des termes, telle que nous le montre l’exemple actuel des «fameux» coffee-shops à la française. L’ouverture d’un coffee-shop à Paris le mois dernier a ému les foules, laissant croire que les choses étaient en train de changer. Malheureusement non. Dans le monde entier les coffee-shops gèrent la vente du cannabis quand il est légalisé. Les coffee-shops à la française, eux, ne géreront rien et surtout pas du cannabis. Cette officine vendra du CBD, un des nombreux constituants du chanvre, mais qui ne possède aucun effet psychoactif. En un mot, le CBD n’est pas une drogue.
Le tour est bien joué : la confusion des termes laisse croire que les lignes bougent. Le coffee-shop à la française serait l’équivalent d’un caviste qui ne vendrait que du Champomy. Mais cela permet aux pouvoirs publics de dire également qu’ils ne lâchent rien sur le front de la prohibition.
Dans la même série d’enfumage, la ministre de la Santé tente de masquer l’incurie française en matière de recherche pour évaluer les qualités thérapeutiques de certaines substances psychoactives, capacités largement démontrées depuis une trentaine d’années dans tous les pays civilisés (Etats-Unis, Suisse, Pays-Bas, Grande-Bretagne). Mais il ne faut évidemment pas rater une occasion de perdre du temps.
Renforcement de la répression
Si l’immobilisme est de rigueur en matière de statut de l’usage, les dernières annonces en termes de prohibition des drogues faites par la garde des Sceaux instaurent une contraventionnalisation de la consommation de cannabis. Nicole Belloubet établit donc une amende forfaitaire de 300 euros. On ne lui en demandait pas tant. La commission parlementaire avait suggéré un montant de 150 à 200 euros.
Cette amende est évidemment accompagnée du discours éternel en direction des jeunes à qui il ne faut pas envoyer de signal négatif sur l’inflexibilité adulte. En résumé, la répression ne fonctionne pas. Mais comme signal fort en direction des jeunes on invente une amende, une nouvelle strate dans l’échelle de la répression. Cette nouvelle arme n’a aucune raison de montrer une quelconque efficacité. Elle se traduira dans la tête de ces adolescents ainsi : non seulement les adultes ne savent concocter que des lois punitives mais en plus ils ne sont même pas capables de les faire respecter. Avec une mention supplémentaire pour les mineurs qui, «protégés» par leur statut, échappent à cette nouvelle disposition. On pourrait ainsi résumer ce projet de loi en deux points : création de deux classes de fumeurs (les fumeurs riches qui peuvent prendre le risque d’une amende et les autres), création d’exemptions pour les mineurs (curieuse mesure qui ne s’applique pas à ceux qu’elle veut protéger).
Conseils au législateur
L’exemple ci-dessus est l’illustration même du premier conseil aux politiques : pour mener votre guerre à la drogue, il faut tout d’abord adopter une posture spécifique. La posture de l’autruche semble parfaite : la tête dans le sable. Ne rien voir, ne rien entendre, être imperméable à toute évolution des mœurs et des us de nos villes et campagnes. Le deuxième conseil, et non des moindres, consiste à circonscrire l’ennemi en le nommant par le terme de drogues ou de stupéfiants. Basé sur des conceptions scientifiques inattaquables, telle cette définition : est stupéfiant toute molécule inscrite sur la liste des stupéfiants. On peut donner une autre définition de la drogue : «On appelle drogue tout produit psychoactif non défendu par des lobbies», (contrairement aux vins, spiritueux, bières et autres boissons alcoolisées, tabac, ou encore médicaments).
Le troisième conseil aux politiques serait le renforcement d’un appareil conceptuel complet et tout terrain appelé prohibition, avec son corollaire, la répression. Grâce à ce duo implacable, la jeunesse française est une des plus consommatrices de cannabis d’Europe. Le législateur ne veut pas comprendre que la prohibition renforce la dangerosité et l’attractivité des drogues car elle les renvoie dans la clandestinité. Les partisans de la légalisation des drogues estiment au contraire que c’est justement parce que les drogues sont dangereuses qu’il faut les légaliser (pour les encadrer et en réguler l’accès).
Enfin, mesdames et messieurs, vous pourriez définir un grand destin pour être sûrs que cette politique ne change rien. L’adoption d’une perspective historique avec pour slogan : «L’immobilisme est en marche et rien ne pourra l’arrêter», pour reprendre les propos d’Edgar Faure, homme politique contemporain de la loi de 1970.
Pour cela, il suffit de ne surtout pas regarder ce qui peut se passer ailleurs, à l’étranger. De ne pas voir qu’au Colorado, où le cannabis est en vente libre nous ne constatons, pour le moment, aucun tsunami de consommation, aucune augmentation significative chez les mineurs ou les usagers pathologiques. L’Etat de Washington signale que le nombre d’infractions liées au cannabis a été divisé par vingt (conduite automobile, vente interdite, usage inapproprié, etc.) et que le Canada a décidé, la semaine dernière de démarrer sa politique de légalisation du cannabis sur l’ensemble du pays.
Alors seulement, l’absence de courage politique, l’indigence de la pensée et la paresse intellectuelle pourront prendre forme de politique de santé et illustrer de manière flamboyante la devise d’un autre homme politique des années 50, Henri Queuille : «Il n’est pas de problème qu’une absence de décision ne finisse par résoudre.»
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