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vendredi 27 octobre 2017

« L’intelligence artificielle s’apprête à bouleverser la politique internationale »

Le chercheur Julien Nocetti plaide, dans une tribune au « Monde », pour la mise en place d’une gouvernance « multi-acteurs » de l’IA.

LE MONDE  | Par 




Le deep learning a permis d'importants progrès dans le domaine de l'intelligence artificielle.
Le deep learning a permis d'importants progrès dans le domaine de l'intelligence artificielle. QUENTIN HUGON/LE MONDE


Tribune. Six mois après le rapport « France IA », le gouvernement vient de confier au député mathématicien Cédric Villani une mission d’information sur l’intelligence artificielle (IA). Il s’agit, avant tout, d’éclairer l’exécutif sur la manière dont les Français peuvent se préparer à aborder ce « nouveau monde » qui s’apprête à bouleverser le travail et l’emploi. Mais si les enjeux socio-économiques et éthiques de l’IA sont fondamentaux, les conséquences géopolitiques de sa démocratisation et de sa sophistication croissantes imposeront une redéfinition de la puissance et de la conflictualité.

L’IA est de plus en plus débattue à l’échelle internationale. Vladimir Poutine déclarait récemment que le pays qui deviendra leader de ce secteur « sera celui qui dominera le monde ». En mars, François Hollande exprimait la même idée : « Les nations qui maîtriseront l’IA seront les puissances de demain. » Erigée en priorité stratégique par la Silicon Valley et l’industrie « 4.0 », l’IA s’apprête également à bouleverser la politique internationale.

Une des raisons tient à sa nature duale. A l’instar d’autres technologies de pointe, les applications de l’IA peuvent être tant civiles que sécuritaires ou militaires. L’apprentissage automatique – le machine learning, une technique qui permet, à l’aide d’algorithmes, de prévoir des tendances, résultats ou comportements – est déjà utilisé pour prédire la déforestation en Afrique ou les cours de la Bourse. L’IA a aussi permis des avancées dans la médecine, comme le diagnostic et le traitement de la malaria, et est abondamment utilisée dans l’agriculture, la météorologie ou les assurances.

Course aux armements et défis internes


Dans le même temps, la Chine et les Etats-Unis ont dépensé des milliards de dollars, ces dernières années, dans le développement de systèmes d’armes autonomes (drones, missiles, etc.). Ce qui vient élargir considérablement le spectre de la guerre traditionnelle, au point que le renseignement américain estime que l’IA pourrait bouleverser les conflits armés, de la même manière que les armes nucléaires le firent en leur temps. Elon Musk, le patron de Tesla et de Space X, avait, dans une lettre ouverte adressée aux Nations unies, cet été, en compagnie de 115 autres leaders de l’IA et de la robotique, averti du risque possible du déclenchement d’une troisième guerre mondiale.

L’art de la guerre évolue aussi dans son versant cognitif. Dans un contexte international où la rivalité pour les récits pèse lourdement dans la balance stratégique, les 
potentialités de l’IA apparaissent colossales. Certains pays, comme la Russie, l’ont déjà compris, via le recours ciblé à une propagande algorithmique sophistiquée et sous-traitée à des acteurs privés.


Il va sans dire que l’IA attise les rivalités entre puissances. Le rapport de force entre les deux pays les plus avancés dans ce domaine – Etats-Unis et Chine – évolue actuellement en faveur du second, Donald Trump ayant décidé de sabrer les budgets fédéraux de recherche. Les autorités chinoises, qui ont lancé un mégaplan visant à obtenir un leadership mondial sur l’IA en 2030, lient étroitement le développement commercial et militaire de l’IA, via une synergie étroite entre l’Etat, le Parti et les géants nationaux du numérique, comme Baidu. Par contraste, les acteurs de la Silicon Valley, tels Google, se montrent moins enclins, essentiellement pour des raisons d’image, à investir dans des applications à finalité militaire.


Comment réguler l’IA ?


Pour les Etats, les conséquences de l’IA sont aussi internes, avec de possibles répercussions globales. Un rapport remis aux autorités américaines en 2016 avançait que la part croissante de l’IA dans l’économie nationale risque de provoquer la mise au chômage de la moitié des hommes de 25 à 54 ans d’ici à 2050. Cette donnée, à replacer dans le contexte plus large – et complexe – des conséquences de la transformation du travail, doit conduire à s’interroger sur les causes de la montée des populismes.

Pour la Chine, l’IA représente un réel défi en matière de stabilité sociale avec, en contrepoint, la question de la légitimité du Parti communiste, donc du régime. Le gouvernement chinois prévoit néanmoins d’y recourir pour prévoir les cyberattaques, les rassemblements (90 000 grèves ont eu lieu dans le pays en 2016) et renforcer le système – déjà sophistiqué – de censure d’Internet.

Le développement de l’IA ne fait, pour l’heure, l’objet d’aucune gouvernance – la technologie évoluant bien plus rapidement que le temps diplomatique. Les institutions multilatérales qui se sont penchées sur l’IA l’ont fait, jusqu’à présent, sous la pression de la société civile et du secteur privé. Les initiatives restent de plus très largement anglo-saxonnes. Il serait pourtant sain que les géants de la tech américaine, dont le discours prométhéen désarme nombre de nos dirigeants, ne phagocytent pas les débats.

Négocier les « règles du jeu » est pourtant urgent : l’Europe demeure atone – malgré l’éclosion de débats publics – quand les Etats-Unis semblent se diriger vers un retrait de leurs engagements multilatéraux. L’accession de plus en plus d’acteurs – étatiques comme non étatiques – aux potentialités de l’IA requiert l’élaboration d’une gouvernance multi-acteurs, qui fasse interagir gouvernements, société civile et acteurs privés – comme pour Internet. A la différence que l’Occident ne sera vraisemblablement pas le seul « commandant de bord ».

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