Tous les acteurs du monde du handicap s'accordent sur le bien-fondé de la mise en lumière par Catalina Devandas-Aguilar, rapporteur spécial des Nations unies sur les droits des personnes handicapées, des manquements de la France en matière de droits et d'accessibilité. Les avis sont plus nuancés sur l'injonction de désinstitutionnalisation totale.
Interrogés par Hospimedia, un certain nombre d'acteurs du monde du handicap ont réagi aux observations préliminaires sur la situation française de Catalina Devandas-Aguilar, rapporteur spécial des Nations unies sur les droits des personnes handicapées (lire notre article). "Il est toujours intéressant d'avoir un regard extérieur sur la façon dont nous fonctionnons, explique Jean-Louis Garcia, président de la fédération des associations pour adultes et jeunes handicapés (Apajh). Catalina Devandas-Aguilar dit des choses justes. Quand elle dit que la France n'est pas accessible, que les hommes et les femmes sous mesure de protection sont indûment privés du droit de vote, elle a raison. Mais son propos est trop caricatural quand elle demande au Gouvernement de programmer la fermeture progressive de tous les établissements existants."
Désinstitutionnalisation totale ou raisonnée ?
Pascale Ribes, vice-présidente de l'Association des paralysés de France (APF) ne considère pas ces propos excessifs : "Il est vraiment temps que la France considère les personnes en situation de handicap comme des sujets de droit et non des objets de soins. Ces propositions sont en parfaite adéquation avec la stratégie handicap du Conseil de l'Europe (lire notre article). Même dans les meilleurs établissements, la vie en collectivité est toujours restrictive de libertés. La désinstitutionnalisation est une question qui nous préoccupe, il est possible de trouver des solutions hors les murs même pour les personnes les plus lourdement touchées."
L'Apajh préfère parler de "désinstitutionnalisation raisonnée" pour laquelle elle milite depuis 1962. Apajh et APF approuvent l'idée d'un changement de tutelle des services médico-sociaux autour de la scolarité vers le ministère de l'Éducation nationale. "Mais penser que certaines personnes que nous accueillons dans les maisons d'accueil spécialisées (Mas) ou les foyers d'accueil spécialisé (Fam) puissent tirer un bénéfice d'une sortie définitive de l'institution me semble illusoire", poursuit Jean-Louis Garcia. Prôner cette désinstitonnalisation totale à un moment où les pouvoirs publics cherchent à contenir les dépenses me paraît même dangereux. On risque de mettre à la rue des gens sans accompagnement adéquat et de basculer dans l'accompagnement bon marché qui ne sera pas respectueux des personnes et de leur entourage."
Sophie Cluzel invite Catalina Devandas-Aguilar au prochain CNH
Dans un communiqué, la secrétaire d'État aux Personnes handicapés souligne que de nombreuses observations de Catalina Devandas-Aguilar "rejoignent la feuille de route du Gouvernement et en renforcent l'ambition pour progresser en faveur de : la place des personnes elles-mêmes dans ce qui les concerne et en particulier leur capacité juridique et leur droit de vote, les nécessaires simplifications, la transformation du système éducatif pour assurer un accueil inclusif des enfants handicapés, l’accès et le maintien dans l'emploi, la transformation de l'offre de services dans les territoires afin de favoriser l'autonomie des personnes handicapées qui souhaitent vivre chez elles…" Elle invite Catalina Devandas-Aguilar au prochain Conseil national du handicap (CNH) en mai 2018.Le risque de glisser vers de la maltraitance à domicile
"Bien sûr qu'il y a des institutions à supprimer et qu'il faut dénoncer les mauvais traitements. Mais il peut y avoir une juste limite entre le tout ou rien, estime Marie-Christine Tezenas de Montcel, secrétaire générale du Groupe polyhandicap France (GPF). Quand j'entends parler de supprimer totalement les établissements, j'oscille entre l'indignation et la désolation. Extraire des polyhandicapés d'un établissement où ils sont bien traités et bien accompagnés pour les remettre dans la société, ça va à l'encontre du droit de ces personnes et de leurs familles qui seront dans l'incapacité de gérer le quotidien."
"S'il y a des établissements maltraitants, il faut les fermer, mais pas jeter l'opprobre sur l'ensemble des institutions, au risque de multiplier les situations sans solutions", ajoute Jean-Louis Garcia. "Il y a des personnes qui ne peuvent pas vivre dans la cité seules. Laisser des personnes vulnérables à des familles désemparées, c'est prendre le risque d'une autre maltraitance. Plutôt que de prôner la suppression totale de tous les établissements, il faudrait instaurer un droit de regard de la société civile, estime Claude Finkelstein, présidente de la Fédération nationale des associations d'usagers en psychiatrie (Fnapsy). Aujourd'hui quand on veut dénoncer des mauvais traitements, il faut aller en justice, c'est long, coûteux et on n'est pas toujours entendu."
Les malades psychiques enfin entendus
Pour autant, la présidente de la Fnapsy reste confiante : "Il faut rénover la psychiatrie en France, il y a des dérives, c'est certain. Mais les choses avancent. Le Gouvernement a mis en place un comité de pilotage de la psychiatrie, un Conseil national de la santé mentale et un observatoire de la contention." André Bitton, président du Cercle de réflexion et de proposition d'actions sur la psychiatrie (CRPA) n'affiche pas le même optimisme et entend bien se servir du prérapport de Catalina Devandas-Aguilar : "Ses observations sont extrêmement pertinentes, elle a vraiment mis le doigt sur le paradoxe français de l'inflation des mesures d'enfermement au plan psychiatrique et le dysfonctionnement du contrôle judiciaire des hospitalisations psychiques sans consentement. Elle a aussi évoqué la camisole chimique imposée à de nombreux malades en ambulatoire qui ne fait même pas l'objet d'un contrôle judiciaire. Enfin, elle a insisté sur la nécessité de prendre directement en compte la voix et l'avis des personnes handicapées, lesquelles sont insuffisamment représentées dans les processus décisionnels actuels. Nécessitéà laquelle nous ne pouvons que souscrire."
Roselyne Touroude, vice-présidente de l'Union nationale des familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (Unafam) estime que les observations préliminaires du rapporteur spécial retranscrivent bien le problème de l'accès aux droits sociaux : "Il faut prendre en compte les conséquences sociales du handicap : l'accès et le maintien dans le logement, l'accès et le maintien dans l'emploi. Aujourd'hui, obtenir la prestation de compensation du handicap (PCH) pour financer des auxiliaires de vie, accéder à un logement et s'y maintenir est un vrai parcours du combattant. Nous espérons que cette visite aura permis de mettre en lumière la question des droits des personnes en situation de handicap, des droits renforcés par la convention relative aux droits des personnes handicapées de l'Organisation des nations unies, trop souvent négligée en France."
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