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vendredi 27 octobre 2017

Le kilogramme repasse à la pesée

Des balances de haute précision sont aujourd’hui testées pour préciser la valeur de la constante de Planck afin de décrire l’unité de mesure de masse à la lumière de la physique quantique.

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | 09.10.2017 | Par David Larousserie

Au Laboratoire national de métrologie et d’essais, à Trappes, une cloche de 2 mètres de hautpour 1,30 mètre de diamètre renferme une balance à fléau et une multitude d’outils optiques et électriques permettant de mesurer la constante de Planck. Philippe Stroppa

Depuis plusieurs années, un combat difficile, digne d’homériques luttes sportives, se joue. A la gauche, le grand K, poids mouche avec sa masse d’un kilo mais ­respecté pour son âge, 139 ans. A la droite, le ­petit h, même envergure, un peu plus jeune, né en 1900, mais résolu à devenir la référence de la discipline.

En fait le grand K a déjà perdu, mais l’intronisation de son successeur tarde. En termes moins métaphoriques : la définition internationale du kilogramme est en train de changer, comme prévu par une décision de la Conférence générale des poids et mesures (CGPM) en 2014. Jusqu’à présent, l’unité de masse était définie en référence à un étalon en alliage de platine et d’iridium, dont un exemplaire dit « IPK », ou « grand K », est stocké précautionneusement à Sèvres, au Bureau international des poids et mesures, avec six autres copies.

A partir de 2019, si la CGPM le décide en ­novembre 2018, ce sera un peu moins simple. Exit la référence au K, place à h, la constante de Planck. Celle-ci marque l’acte de naissance de la mécanique quantique et relie l’énergie portée par exemple par un photon à sa fréquence. Elle vaut 6,62607015 × 1034.

Quel rapport avec le kilogramme ? Cette constante s’exprime dans une unité contenant la ­seconde et le joule, qui elle-même s’exprime en… kilogrammes. Autrement dit, si l’on sait ce que vaut une seconde (dont la définition est aussi fixée par la CGPM), et si l’on fixe la valeur de h, alors on pourra dire ce que vaut un kilogramme. Ce genre de raisonnement liant des unités à des constantes s’appliquera également à l’unité de température, le kelvin ; l’unité de quantité, la mole ; l’unité d’intensité électrique, l’ampère…

Ancienne et nouvelle méthode

Cela peut sembler un peu compliqué par rapport à la méthode actuelle, plus intuitive. Pour homologuer une balance, par exemple, il suffit de l’étalonner avec des références conservées dans les laboratoires de métrologie et qui reproduisent exactement l’IPK.

« Mais c’est intellectuellement inconfortable. Penser que la masse du Soleil, comme celle de l’électron, dépend d’une comparaison avec un artefact matériel peut choquer », estime Matthieu Thomas, du Laboratoire national de ­métrologie et d’essais (LNE), un des temples de la recherche de précision et établissement ­public de normalisation. Surtout que le vénérable grand K s’use malgré les précautions qui l’entourent : les copies s’écartent du modèle de 50 microgrammes par an environ, sans qu’on sache d’ailleurs vraiment pourquoi. Or une constante, par définition, ne varie pas…

Alors, pour savoir combien pèse un kilo de plomb, direction Trappes, au LNE, bâtiment Maxwell, pour rejoindre Matthieu Thomas, le responsable du projet « Détermination de h ». Car, avant de jeter aux oubliettes K, il faut s’assurer de connaître parfaitement la valeur de son remplaçant, h.

Dans une pièce climatisée à 20 °C, une grosse cloche argentée de deux mètres de haut pour 1,30 mètre de diamètre est ouverte. A l’intérieur, un œil averti reconnaîtra une classique balance à fléau avec deux plateaux. Mais la ­vision est perturbée par un entrelacs de pièces métalliques, optiques, électriques qui ne laisse aucun doute sur le fait que cet instrument n’arrivera jamais sur un marché du dimanche pour peser des patates. « Il y en aura quatre ou cinq dans le monde, lorsque la nouvelle définition sera effective, en 2019 », imagine Matthieu Thomas. Pour l’instant, il n’y en a que trois qui ont passé la barre requise par le Comité des données pour la science et la technologie (Codata), qui fait référence en matière de constantes physiques. « Ça a été la course pour fournir nos résultats avant la date du 1er juillet, qui était la limite pour pouvoir être pris en compte par le comité », ajoute le chercheur. Les Français ont réussi, même s’ils sont moins précis que leurs homologues du NIST, aux Etats-Unis, et surtout du Conseil national de la recherche du Canada, les meilleurs aujourd’hui. Ces trois groupes ont mesuré la fameuse constante de Planck à au moins 7 chiffres après la virgule. Soit le minimum requis pour convaincre la CGPM en ­novembre 2018.

Le principe remonte en fait à la fin du XIXe siècle pour la mesure de l’ampère. D’un côté du fléau, une masse de contrepoids. De l’autre, une bobine plongée dans un champ magnétique. Lorsqu’un courant électrique parcourt la ­bobine, une force s’exerce verticalement et équilibre le contrepoids. Mais la force dépend de la longueur de fil et du champ magnétique, deux grandeurs délicates à connaître précisément et qui peuvent varier. D’où l’idée de Bryan Kibble en 1975 d’ajouter une seconde mesure, pour éliminer ces paramètres. Lorsque la ­bobine monte et descend au milieu du champ magnétique, une tension électrique apparaît, par induction, à ses bornes. Celle-ci dépend aussi de la longueur de fil et du champ magnétique. En tenant compte de ces deux phases, statique et dynamique, ces deux paramètres disparaissent des équations.

Il ne reste plus que la masse, la gravitation, la vitesse verticale, une tension et une intensité. Ces deux dernières sont déterminées précisément grâce à des instruments sophistiqués qui reposent sur des phénomènes quantiques. D’où l’apparition de la constante de Planck, miracle ! La balance, qui, depuis le décès de Kibble en 2016 porte son nom, donne la valeur de h.

La précision de l’infime

A condition d’éliminer les plus infimes perturbations, une des spécialités du LNE. La dalle sur laquelle est l’instrument pèse 350 tonnes, reposant sur des piliers de 12 mètres enfoncés dans le sol. L’humidité et la température sont contrôlées, et l’ensemble de l’expérience est enfermée dans une gigantesque cage de Faraday. 

La gravité locale est mesurée en continu par un gravimètre à atomes froids. L’effet de l’air exerçant une infime poussée d’Archimède sur la masse étalonest calculé… La bobine fait une centaine d’allers-retours pendant plusieurs semaines pour améliorer la statistique et aller chercher les pouièmes de précision requis.

En outre, si les Français sont les moins bons, c’est qu’ils travaillent dans l’air et pas, comme les autres, dans le vide. Ce qu’ils devraient tout de même arriver à faire dans les prochains mois. « On va encore stresser, car ensuite il faudra comparer les différentes balances entre elles afin de s’assurer de leur cohérence », prévoit Matthieu Thomas.

Les experts pourront aussi comparer avec une autre méthode, encore plus délicate, pour ­connaître h. Deux autres équipes ont fabriqué une sphère en silicium et « compté » les atomes qu’elle contient, ce qui permet de mesurer la constante d’Avogadro, bien connue des chimistes, et par des formules d’en déduire h.

Et ensuite ? Ensuite, la balance fonctionnera à l’envers. Au lieu de servir à calculer h, on posera des masses inconnues sur un des plateaux, et les mesures indiqueront sa valeur absolue (et non plus par rapport à un étalon). Simple, non ?

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