Consacrée aux innovations, la sixième journée FHF dédiée aux enjeux de la psychiatrie a dressé un panorama des outils numériques actuellement disponibles pour les patients. Pour combler son retard en la matière, la France devrait notamment mettre en place une "task force" pluridisciplinaire et se doter d'un référentiel éthique et déontolongique.
Pour sa sixième édition, la journée de la FHF sur les actualités et enjeux en psychiatrie et santé mentale a mis en lumière les innovations au sein de la discipline : des innovations technologiques, organisationnelles, thérapeutiques, etc. En matière de nouvelles technologies, les tables rondes ont permis d'exposer des retours d'expérience en matière de télémédecine, sur laquelle on dispose désormais d'années de recul, à l'exemple du CH du Rouvray à Sotteville-lès-Rouen (Seine-Maritime), l'un des pionniers français en télépsychiatrie. Des praticiens du CH, Sadeq Haouzir, président de la commission médicale d'établissement (CME), et Marie Desbordes, gérontopsychiatre, ont ainsi présenté les dispositifs existants (télémédecine en appartement thérapeutique, en Ehpad, etc.) et les pistes de recherche sur l'utilisation de robots dans les soins psychiatriques. D'autres témoignages ont porté sur le développement d'applications mobiles, avec entre autres celle mise en place au CH de Thuir dans les Pyrénées-Orientales (lire notre article). Sur un volet encore plus émergent des nouvelles technologies en psychiatrie, Christophe Debien, responsable du dispositif de prévention de la récidive suicidaire VigilanS (lire ici et là) au CHRU de Lille (Nord) a présenté les enjeux de l'utilisation de ces outils numériques et émis des propositions pour que la France rattrape son retard en la matière.
Problématiques soulevées par les outils numériques
Co-animateur et fondateur de la chaîne Youtube Psylab qui évoque en vidéo, de manière décalée et vulgarisatrice, des grandes thématiques de psychiatrie ou de psychologie, le Dr Christophe Debien s'est lancé dans un inventaire des ressources disponibles pour les patients/usagers français, en tous cas francophones, en matière notamment de prévention du suicide. Les ressources "gratuites", a-t-il insisté, puisqu'il n'est pas question à ses yeux de proposer aux patients/usagers des outils payants. Pour fixer des ordres de grandeurs, il a rappelé par exemple que 260 000 "applis" santé (tous domaines confondus) existaient dans le monde, dont un petit millier en France. En psychiatrie, l'offre hexagonale est encore balbutiante, même si des projets de recherche se mettent en place, comme l'outil Stop blues développé dans le cadre du programme de recherche interventionnelle et évaluative mené pour la prévention du suicide (Printemps, lire notre article). Peu de sites, de réseaux sociaux, quelques applis, serious games disponibles, ces derniers sont pourtant l'un des "enjeux de demain". Il a présenté des exemples intéressants, qui n'ont pas été développés par des équipes de psychiatrie. Ce "qui n'est pas plus mal" parfois, a-t-il illustré, en montrant un serious game développé par un ancien patient, tiré de son expérience psychiatrique. À destination de soignants, ce jeu met en scène un personnage incarnant la mort, qui met au défi l'utilisateur de sauver des personnes suicidaires. Il faut alors dialoguer, au travers d'éléments de conversation au choix, dont des phrases de soignants réellement entendues par l'auteur du jeu et "qui lui ont permis d'aller mieux".
Globalement, on trouve plusieurs catégories d'outils numériques : ceux permettant de s'informer/se former, d'élaborer un plan d'urgence, de trouver du soutien, ou encore de disposer d'outils de coping (exercice de psychologie positive, de relaxation, de mindfulness, etc.). Le développement de ces outils, qui peuvent ouvrir de véritables perspectives d'accompagnement thérapeutique, est pourtant semé d'embûches. Car les outils ne sont pas sans présenter plusieurs problématiques.
L'enjeu prioritaire de la pédopsychiatrie
Les questionnements sont nombreux. Beaucoup de ces outils ne procèdent pas d'une réelle rigueur scientifique. Quelle est leur utilité ? Leur efficacité ? Certains peuvent-ils être délétères ? Pour l'heure, ce champ numérique souffre aussi du peu d'équipes professionnelles impliquées et il n'existe pas de "coordination nationale" des initiatives. Quid de la protection des données ? Du modèle économique ? Du choix des financeurs ? Par exemple, on peut craindre l'utilisation par une banque ou une société d'assurance, par exemple, de données sensibles ("va-t-on assurer ou accorder un prêt à un client que l'on sait schizophrène ?"). Par ailleurs, sur quels référentiels éthiques et déontologiques ces outils peuvent-ils s'appuyer ? Enfin, autre questionnement — et non des moindres — comment sont produits les contenus et sont-ils mis à jour ? Et si oui, cette mise à jour, qui est "fondamentale", est-elle correctement effectuée ? D'où plusieurs propositions évoquées par le psychiatre lillois. Il faudrait envisager la création d'une "task force" nationale pluridisciplinaire, composée de soignants, informaticiens, usagers, et journalistes, qui pourraient se saisir de ces enjeux numériques pour la psychiatrie. Autre nécessité, a-t-il poursuivi, la validation d'une charte éthique et déontologique en conformité avec la règlementation. Certaines problématiques se poseront aussi forcément en matière de financement des projets (coûts très variables selon les outils, peu d'aides existantes) et de la valorisation du temps professionnel passé sur ces projets.
Les professionnels de santé et chefs d'établissements ont ensuite échangé sur ces enjeux, reconnaissant qu'on ne décrivait pas ici "le monde de demain mais le monde d'aujourd'hui". La psychiatrie devra donc s'ouvrir davantage à ces outils, qui ne se substituent pas au lien humain et au colloque singulier soignant-soigné, mais représentent de nouveaux vecteurs pour permettre ce lien ou le garder dans le cadre d'un suivi. D'autant que l'enjeu prioritaire, s'il ne fallait en citer qu'un, ont convenu plusieurs intervenants au colloque, est la pédopsychiatrie, la prévention, la détection précoce des troubles. Soit, justement, la prise en charge des enfants et adolescents, sur lesquels cet environnement numérique exerce une emprise certaine, et ceci, de manière quotidienne.
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