Prolongeant l’héritage de Georges Canguilhem, Maël Lemoine questionne les pratiques médicales, notamment les notions de preuve et d’explication des maladies.
LE MONDE | | Par Catherine Mary
LE LIVRE. Les connaissances sur lesquelles repose la pratique de la médecine visent avant tout à agir sur la maladie. Et, contrairement à d’autres disciplines comme la physique ou la biologie, les sciences médicales ne s’appuient pas sur un socle théorique commun.
Cela n’empêche pas le philosophe de questionner la manière dont s’élaborent ces connaissances, et la philosophie des sciences médicales est une discipline à part entière, défend le philosophe Maël Lemoine dans son livre Introduction à la philosophie des sciences médicales. Son ambition ? Faire la synthèse de l’ensemble des contributions afin d’esquisser les contours de cette discipline.
Discutant notamment l’héritage du philosophe Georges Canguilhem dont l’œuvre phare, Le Normal et le pathologique, publiée en 1943, fait encore référence, il questionne les méthodes et les concepts en usage dans la médecine contemporaine.
Destiné aux philosophes comme aux médecins, le livre traite en une dizaine de chapitres des questions posées par la démarcation entre le sain et le pathologique, la recherche de preuves ou encore l’établissement d’un lien de causalité entre un facteur environnemental comme le tabac et la survenue d’une maladie. Un chapitre est également consacré à la psychiatrie, que l’auteur situe « aux confins de la médecine ».
Ce regard critique sur la médecine contemporaine, souvent étayé par des exemples concrets, fait tout l’intérêt de l’ouvrage. Dans le chapitre consacré aux preuves, l’auteur discute ainsi de l’usage des connaissances issues de l’évaluation clinique dans ce que les Anglo-Saxons nomment l’evidence-based medicine (« médecine fondée sur les preuves »), qui s’est imposée dans la prise de décision médicale. « En forçant le trait, on dira que voir dans toute la science médicale un dispositif visant à fonder des preuves réduit celle-ci au rang de technique. Justement pour cette raison, on peut remettre en question la prééminence de la preuve et souligner le rôle crucial d’autres activités théoriques comme l’explication », commente-t-il.
Il n’omet pas non plus de discuter du contexte culturel dans lequel s’élaborent les connaissances. Dans un chapitre consacré à l’explication médicale, il s’appuie ainsi sur le cas de l’ulcère de l’estomac pour analyser les croyances l’ayant longtemps attribué au stress, jusqu’à ce que l’infection bactérienne par Heliobacter pylori n’offre une explication alternative dans les années 1990. « Le psychosomatique avait à la fois fait de l’ulcère l’une de ses affections emblématiques, qu’il s’agissait de prendre en charge en psychothérapie autant que par des traitements chimiques des symptômes, et engagé une lutte contre l’approche réductionniste du tout-biologique », souligne-t-il.
Il est cependant dommage que le livre soit difficile d’accès au lecteur non initié à la philosophie des sciences médicales. Car chacun devrait pouvoir s’emparer des questions qu’il soulève, afin de contribuer au choix des méthodes et des concepts sur lesquels repose la décision médicale.
« Introduction à la philosophie des sciences médicales », de Maël Lemoine (éd. Hermann, 218 p.
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