La mort d’un patient est toujours dramatique. Mais encore plus douloureusement ressentie quand il s’agit du décès par suicide d’un sujet ayant à peine quitté le service où il se trouvait hospitalisé ! Par convention, on considère que ce suicide survient rapidement quand une durée inférieure ou égale à trois mois s’est écoulée depuis le terme de cette hospitalisation.
Réalisée aux États-Unis sur deux cohortes (près de 800 000 adultes de 18 à 64 ans ayant été hospitalisés pour motif psychiatrique et plus d’un million avec antécédents d’hospitalisation pour motif non psychiatrique), une étude longitudinale (rétrospective) compare le risque de suicide pour ces deux populations dans les 90 premiers jours suivant ce séjour en milieu hospitalier (psychiatrique ou somatique).
Les données recueillies comportent une statistique des décès par suicide (soit 370) constatés entre le 01/01/2001 et le 31/12/2007. Établis pour chaque catégorie de patients hospitalisés en psychiatrie en fonction du cadre diagnostique les concernant, et rapportés à 100 000 personnes-années, ces taux de suicide sont comparés à ceux observés pour des sujets « démographiquement appariés » dans la population générale des États-Unis et chez les personnes hospitalisées pour un motif non psychiatrique.
L’analyse de ces données épidémiologiques montre que la mortalité par suicide est, trois mois après la sortie de l’hôpital, la moins élevée chez les sujets hospitalisés pour un motif non psychiatrique (11,6 suicides pour 100 000 personnes-années) ; elle est même plus faible que la mortalité par suicide dans la population générale des États-Unis (environ 14,2 décès pour 100 000 personnes-années)[1], ce qui suggère la possibilité d’un certain effet préventif de l’hospitalisation (pour motif non psychiatrique) sur le risque de suicide. Par contre, les taux concernant la cohorte des patients avec diagnostic psychiatrique montrent un accroissement « particulièrement élevé du risque de suicide à court terme », quel que soit le type particulier de ce diagnostic psychiatrique :
–116,5 suicides pour 100 000 personnes-années, en cas d’addiction à un toxique (substance use disorder) ;
–160,4 suicides pour 100 000 personnes-années, en cas d’autre étiquette psychiatrique que les quatre envisagées dans cette liste ;
–168,3 suicides pour 100 000 personnes-années en cas de schizophrénie ;
–216 suicides pour 100 000 personnes-années lors de troubles bipolaires ;
–235,1 suicides pour 100 000 personnes-années en cas de trouble dépressif.
Et comme on pouvait s’y attendre a priori, les ratios ajustés (AHR, adjusted hazard ratios) confirment l’existence d’un risque plus élevé de suicide quand l’hospitalisation fut associée à :
–un diagnostic de dépression (AHR=2,0 intervalle de confiance à 95 % [1,4–2,8] ;
–un diagnostic de trouble bipolaire porté en ambulatoire (AHR=1,6 [1,2–2,1]) ;
–un diagnostic de schizophrénie porté en ambulatoire (AHR=1,6 [1,1–2,2]) ;
–ou avec une « absence totale de toute prise en charge ambulatoire » (AHR=1,7 [1,2–2,5] dans les six mois ayant précédé l’hospitalisation. Convaincre les patients de l’importance d’un suivi en ambulatoire permet ainsi de réduire de façon significative, après une hospitalisation en psychiatrie, le risque de suicide inopiné durant le premier trimestre.
[1] Pour la population générale des États-Unis, d’autres sources donnent des valeurs différentes :
–12,6 suicides pour 100 000 personnes-années [Thomas H. McCoy &coll.: Improving prediction of suicide and accidental death after discharge from general hospitals with natural language processing. JAMA Psychiatry, 2016;73(10): 1064–1071.]
–11,1 suicides pour 100 000 personnes-années (mais les statistiques utilisées remontent à 2005) [https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_pays_par_taux_de_suicide]
Dr Alain Cohen
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