Médecins et étudiants en médecine témoignent de la présence de l’industrie pharmaceutique dans le cadre de leur formation hospitalière.
« Les laboratoires et l’hôpital… c’est une longue histoire d’amour », lance, goguenarde, Barbara Trailin, jeune médecin formée à la faculté de Lille Henri-Warembourg. Ils sont plusieurs soignants et étudiants en médecine à témoigner, auprès du Monde, de ces idylles que les laboratoires pharmaceutiques s’efforcent de nouer au plus tôt, avec les étudiants en médecine, prescripteurs de médicaments de demain.
Prévenir les étudiants de l’influence des labos est pourtant au programme dès la première année d’études. Les facultés s’efforcent de « sensibiliser » les futurs soignants aux conflits d’intérêts, soulignent d’une seule voix Yohan, Abdel (plusieurs témoins ont requis l’anonymat) et Laurent Ruiz, respectivement étudiants dans les facultés de médecine de Nantes, Toulouse et Versailles. Il s’agit pour l’étudiant d’ intégrer l’usage d’une boîte à outils critique qui permettra au futur médecin de mesurer l’intérêt médical et scientifique des rapports, études, articles qui leur seront soumis durant leur carrière.
« L’affaire du Médiator, qui a causé des centaines de décès en France, a particulièrement sensibilisé nos professeurs à la nécessité de nous apprendre l’art de l’esprit critique », souligne Guy, étudiant en troisième année à l’université de médecine de Bordeaux.
Les travées des universités et leurs amphithéâtres ne sont pas les terrains de chasse des limiers des labos. « Je n’ai jamais remarqué leur présence », témoigne Abdel. En revanche, dès qu’ils franchissent le seuil de l’hôpital, stagiaires, externes et internes sont assaillis par les visiteurs médicaux. Dès leur premier stage en CHU, les étudiants reçoivent de la part des représentants de l’industrie pharmaceutique des « petits cadeaux » que seule « une infime minorité refuse », affirme Yohan.
Omniprésents, les « commerciaux sont prêts à attendre des heures pour s’entretenir avec un médecin », rapporte Laurent Ruiz, étudiant de quatrième année. Une abnégation qui n’a qu’un objectif, influencer les habitudes de prescription. « Ils font bien leur job », note Barbara Trailin, qui reconnaît également l’efficacité de leur action.
« J’ai été confrontée aux laboratoires pharmaceutiques pendant toute ma formation pratique hospitalière, poursuit Cécile, médecin généraliste, formée dans les facultés de Nantes et Angers, dès l’externat les staffs médicaux hospitaliers [réunion de formation médicale] sont organisés avec des laboratoires qui fournissent petit déjeuner, déjeuner. Les professeurs de médecine font leurs présentations pendant que les visiteurs médicaux sont dans les couloirs prêts à nous distribuer dépliants et petits présents. Puis pendant l’internat c’est l’explosion ! Les staff repas deviennent hebdomadaire, organisé a chaque fois par un laboratoire différent mais avec une constante : leurs commerciaux prêts à nous “former aux dernières nouveautés médicamenteuses”. »
Quels sont les liens entre ces enseignants et les laboratoires qu’ils invitent auprès de leurs étudiants ? « Aucun enseignant ne déclare spontanément de conflits d’intérêts sur ces cours, hormis le professeur de pharmacologie », regrette Abdel, étudiant toulousain. « Moins de 5 % le font », estime pour sa part Yohan, de Nantes. « Les enseignants n’ayant pas de conflits d’intérêts sont rares », abonde Anouar, interne à Paris-Descartes. La transparence n’est pas la règle, selon ces futurs médecins.
Alors à qui se fier ? Comment bien prescrire ? « Nous sommes formés par les collèges nationaux d’enseignants qui publient des recommandations de bonne pratique, des consensus, que nous pouvons consulter gratuitement, répond Marco Berardi, médecin. Mais ce qui est difficile à connaître, c’est le rapport entre les laboratoires et ces fameux collèges. Est-ce que la recommandation est basée sur un apport réel en termes de santé publique ou sur un conflit d’intérêt ? » Ce généraliste parisien n’apporte pas de réponse. Les apprentis médecins s’interrogent toujours.
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