Les pénuries concernent environ 400 traitements. Un problème largement lié à la mondialisation du marché.
La situation est jugée « préoccupante ». 391 médicaments en rupture d’approvisionnement ont été signalés à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) au niveau national en 2015, selon les chiffres communiqués fin décembre 2016. On en comptait 438 en 2014 et 404 en 2013. Si les chiffres 2016 ne sont pas encore connus, la tendance est la même. C’est presque dix fois plus qu’en 2008 (44 médicaments concernés).
Et l’ANSM ne recense là que des médicaments dits d’intérêt thérapeutique majeur, c’est-à-dire ceux dont « l’indisponibilité transitoire, totale ou partielle, est susceptible d’entraîner un problème de santé publique (mise en jeu du pronostic vital, perte de chance importante pour les patients) ». On parle de ruptures d’approvisionnement lorsqu’une pharmacie d’officine ou d’hôpital est dans l’incapacité de dispenser un médicament à un patient dans un délai de 72 heures.
Pour le Conseil national de l’ordre des pharmaciens, il s’agit « d’une véritable préoccupation de santé publique ». « Ça embête tout le monde, le patient, le prescripteur, c’est anxiogène pour le patient et chronophage pour les pharmaciens », explique Isabelle Adenot, présidente de l’instance, qui constate que « les ruptures semblent avoir atteint un plateau, on espère une baisse ».
Solutions alternatives
Au total, environ 2 % de l’ensemble des spécialités pharmaceutiques (soit 297) faisaient l’objet de ruptures de stock fin novembre 2016, sur les 14 730 spécialités existantes, un chiffre comparable à celui des mois précédents mais supérieur à ceux observés en 2015, précise Isabelle Adenot. Des chiffres issus du tableau de bord DP-ruptures, lancé en 2013. Un outil actuellement déployé dans 3 800 officines.
Si toutes les classes de médicaments sont concernées, trois catégories sont plus spécialement affectées, selon l’ANSM : les anti-infectieux (dont les vaccins), les médicaments du système nerveux et les anticancéreux. L’agence, qui liste ces ruptures, doit dans ces cas-là mettre en place des solutions alternatives avec l’industriel.
Les choses ne s’améliorent pas. Et ce phénomène n’est pas propre à la France. Pour le professeur Alain Astier, chef du département de pharmacie du groupe hospitalier Henri-Mondor (AP-HP, Créteil), et membre de l’Académie de pharmacie, le problème est quasi quotidien. Le laboratoire AstraZeneca vient de confirmer l’arrêt de commercialisation à l’hôpital de la Xylocaine adrénalinée, utilisée en urgence lors d’anesthésies obstétricales, comme des césariennes. Il est donc recommandé de se tourner vers les spécialités du laboratoire concurrent Aguettant, mais les concentrations sont différentes. « Les risques d’erreur et de confusion sont possibles pour un produit utilisé de surcroît en urgence », pointe Alain Astier.
Autre exemple, le Rimifon, traitement antibiotique contre la tuberculose, qui n’est plus disponible sous forme injectable. Certes, il existe une solution alternative, mais le produit venant d’Italie, la notice est en italien, ce qui peut être là aussi source d’erreur. De même, le médicament d’immunothérapie instillé dans la vessie à base de BCG (Immucyst) est en tension. De plus, la mitomycine, chimiothérapie utilisée également pour traiter le cancer de la vessie, est très fréquemment en rupture de stock, constate Alain Astier. « A chaque fois, c’est extrêmement compliqué pour le patient et encore plus pour nous, poursuit le spécialiste. Les alternatives sont souvent moins efficaces et plus toxiques ».
Dans les officines, c’est moins problématique mais « le manque de certains médicaments est embêtant », constate Isabelle Adenot. Ainsi Altim, utilisée pour des infiltrations contre les rhumatismes ou des pommades gynécologiques utilisés contre les effets de la ménopause sont en fortes tensions d’approvisionnement.
Comment expliquer ces ruptures ? Les origines sont multifactorielles : des stratégies industrielles de rationalisation des coûts de production qui conduisent les laboratoires à produire en flux tendu, des difficultés survenues lors de la fabrication de matières premières ou des produits finis, souvent délocalisée en Chine, en Inde… ou encore des défauts de qualité sur certains médicaments. Ces signalements ont augmenté de 624 en 2004 à 1 702 en 2015, selon les chiffres de l’ANSM.
Il suffit donc d’un grain de sable pour que la chaîne ne fonctionne plus : un atelier fermé, un retard, une mauvaise anticipation de la demande… Pour Patrick Errard, président du LEEM (les entreprises du médicament), « les productions de médicaments se font de plus en plus à flux tendu, nos usines produisent pour le marché mondial ». Alain Astier y voit d’autres raisons plus économiques. Ces produits ont tous un point commun : « Ce sont pour la plupart des vieilles molécules qui rapportent peu ».
Pour remédier au problème, la loi de santé de janvier 2016 a imposé aux industriels la mise en place d’un plan de gestion des pénuries, notamment pour les médicaments à intérêt thérapeutique majeur. Depuis 2008, la déréglementation autorise les grossistes répartiteurs à revendre les médicaments dans des pays où les prix sont plus avantageux. Le dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) va obliger industriels et grossistes répartiteurs à privilégier le marché français en cas de rupture et à communiquer les médicaments qu’ils exportent. Mais des décrets doivent encore préciser les nouvelles règles.
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