L’enquête TeO met en lumière un groupe d’enfants d’immigrés, de sexe masculin, qui concentre les risques d’échec scolaire. Avec quelles conséquences ?
Chez les fils d’immigrés appartenant aux minorités visibles dont au moins un des parents est originaire d’Afrique subsaharienne, du Maghreb ou de Turquie, un garçon sur trois sort de l’école sans aucun diplôme du secondaire (bac, BEP, CAP), soit deux fois plus que dans la population majoritaire [non descendante d’immigrés]. C’est une proportion gigantesque. Or, s’insérer sur le marché de l’emploi quand on n’a aucun diplôme du secondaire, et pouvoir du coup trouver un logement, c’est, en France, extrêmement difficile. Ce décrochage scolaire précoce se répercute donc fortement sur l’insertion socio-économique.
Ce qui pose problème, c’est que la situation de ces hommes issus de minorités visibles se dégrade d’une génération à l’autre. Le taux de chômage, par exemple, atteint 27 % chez les enfants d’immigrés d’Afrique subsaharienne, contre 15 % chez les immigrés de première génération de ces mêmes régions – et 8 à 9 % dans la population majoritaire. Ces résultats mettent à mal la théorie selon laquelle l’intégration des immigrés s’améliore d’une génération à une autre. C’est vrai pour ceux qui proviennent d’autres pays d’Europe ou d’origine asiatique, ce n’est pas vrai pour ces populations-là. Le fait que la deuxième génération s’en tire moins bien que la première dans ces minorités visibles, c’est un fait historiquement nouveau. Avec cette question : qu’est-ce qui va se passer à la troisième génération ?
Pour les enfants d’immigrés ayant un diplôme du secondaire, comment se passe l’insertion économique à la fin des études ?
Toutes choses égales par ailleurs, les descendants d’origine maghrébine rencontrent plus de difficultés que les autres à trouver un emploi dans l’année suivant la fin de leurs études. Cette période est particulièrement critique pour les femmes, ce qui peut sembler paradoxal puisqu’elles réussissent mieux à l’école. Parmi elles, deux groupes apparaissent particulièrement défavorisés : les descendantes de l’immigration nord-africaine et celles des natifs des départements d’outre-mer (DOM). Le problème, pour les filles, ce n’est pas l’école : elles sont dans une certaine mesure protégées par l’institution scolaire. Mais elles perdent cet avantage au moment de la recherche d’emploi, où les discriminations de genre restent fortes : leurs niveaux de qualification sont plus élevés que ceux des garçons, mais elles cumulent alors les discriminations sexiste et raciste.
L’enquête TeO a étudié le poids des discriminations ressenties par les enfants d’immigrés. Quelles sont vos conclusions ?
La grande originalité de cette enquête, c’est d’avoir voulu combiner une mesure objective des inégalités et des mesures subjectives. Pour chaque thème abordé dans l’étude, on a interrogé les personnes sur leur ressenti, leur vécu. On leur demandait par exemple si elles avaient le sentiment d’être traitées de façon inégalitaire – à l’école, dans la recherche d’un emploi ou d’un logement, en matière de promotion dans la vie professionnelle, etc. Ces questions ne mentionnaient pas le terme « discrimination », mais faisaient référence à des traitements injustes. Par ailleurs, à la fin du questionnaire, on demandait aux personnes, de façon globale, si elles avaient vécu des situations de discrimination et de racisme. Et, si oui, quelle était à leur avis la raison de cette discrimination (sexe, apparence, origine, etc.).
En combinant toutes ces réponses, on observe deux choses. D’une part que les personnes qui devraient, au vu de leur qualification, obtenir un emploi et qui n’en ont pas sont aussi celles qui déclarent avoir été victimes d’un traitement inégalitaire. On s’aperçoit d’autre part, si l’on fait la somme de tous les traitements injustes déclarés par une personne, que le ressenti est en général sous-estimé par rapport à la réalité. La conclusion, c’est que, quand quelqu’un répond « oui » à la question : « Est-ce que vous avez subi des discriminations ? », il faut non seulement le croire, mais aussi avoir en tête que son sentiment est sans doute en deçà de la réalité.
Que faudrait-il faire pour réduire cet état de fait ?
Tous les chercheurs qui travaillent sur ce sujet partagent la même conviction : ce que dit cette étude, c’est qu’il faut absolument mettre en œuvre une vraie politique de lutte contre les discriminations, qui soit stable, continue, installée dans un ministère ou dans une institution, et qui soit évaluée. Il faudrait également reconduire des enquêtes de type TeO, et le faire sur une base régulière – par exemple tous les dix ans – pour prendre régulièrement la mesure de l’évolution des choses. L’idée est que ces travaux s’installent dans la statistique publique. Si c’est l’Insee qui, en collaboration avec l’INED, prend la mesure de ces inégalités selon l’origine, cela signifie que l’Etat est partie prenante. Ce qui devrait l’obliger, au bout d’un moment, à traiter le problème.
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