Le rapporteur public du Conseil d’État a réclamé mercredi le rejet de la demande d’une femme de 35 ans conçue par insémination artificielle, qui souhaite obtenir des informations sur son donneur, renvoyant à la Cour européenne le soin de trancher cette question de société.
« Nous assumons le rôle modeste du juge » sur « ce sujet de société particulièrement délicat », a justifié Édouard Crepey, après avoir admis que la loi française, qui prône aujourd’hui un anonymat quasi-total sur le donneur de sperme, pouvait être retoquée à l’avenir par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH).
Plusieurs arrêts de la Cour européenne ont en effet précisé les contours du droit au respect de la vie privée, en ce qu’il s’applique au droit de toute personne à connaître ses origines.
Mais le rapporteur public n’a pas pour autant proposé aux juges du Conseil d’État d’obliger le législateur français à revoir dès à présent sa copie, renvoyant cette responsabilité à la CEDH qui, a-t-il souligné, « n’a pas encore tranché la question ».
Retour sur les débats sur la loi de bioéthique de 2011
Le rapporteur public avait auparavant fait valoir que le législateur français avait réaffirmé son choix en faveur de l’anonymat lors des débats sur la loi bioéthique du 7 juillet 2011, alors que l’hypothèse d’une communication sur des éléments non-identifiants (qui ne permettent pas d’identifier le donneur) avait été évoquée.
Il a par ailleurs repris les conclusions d’un précédent avis du Conseil d’État, selon lequel le législateur français a « établi un juste équilibre entre les intérêts en présence, donneur, couple receveur et enfant ».
« Depuis quand une haute juridiction nationale doit-elle attendre un arrêt de la CEDH pour statuer sur la conventionnalité d’une décision interne ? », s’est étonné à l’audience l’avocat de la requérante, Me Julien Occipinti, en demandant au Conseil d’État d’assumer ses responsabilités.
« L’absence d’arrêt de Strasbourg en la matière ne doit pas vous déterminer à rejeter notre requête », a plaidé l’avocat, rappelant par ailleurs qu’ « il n’y avait pas eu d’unanimité chez les parlementaires, lors des débats sur la loi bioéthique, pour dire que la levée du secret était inacceptable ».
Requête rejetée par le tribunal administratif en 2012
La requérante, qui a témoigné dans un livre sous le nom d’emprunt d’Audrey Kermalvezen, mène depuis des années un combat judiciaire pour obtenir une levée partielle du secret qui entoure ses origines. En 2012, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa requête, estimant que la demande était irrecevable, considérant notamment que les informations contenues dans le dossier d’un donneur de gamètes lors d’une insémination artificielle constituent un secret protégé par la loi.
Avocate au barreau de Lyon, la jeune femme avait saisi l’administration après avoir découvert, en 2009, être née après une insémination artificielle, réalisée dans un centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains (CECOS). Elle souhaitait recueillir des informations non identifiantes sur son père biologique, mais aussi pour savoir si son frère, né également par insémination artificielle avec donneur (IAD), était issu du même donneur.
Elle demandait à ce que son père biologique soit contacté, afin de savoir s’il souhaitait se faire connaître. Enfin, elle demandait 100 000 euros de dommages et intérêts au CECOS et au CHU où elle a été conçue, ainsi qu’à l’AP-HP, dont dépendent ces structures, au titre du préjudice moral et médical, en raison d’une « crise identitaire » attestée par un certificat médical.
Clémentine Wallace (avec AFP)
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