Extrait de "L'ascension du Haut Mal", de David B.
Erreurs de diagnostic, longs mois d’attente pour
obtenir un rendez-vous avec un neurologue, fortes disparités de prise en charge
sur le territoire… C’est un cri d’alarme qu’ont lancé mercredi 21 octobre les
acteurs de l’épilepsie (sociétés savantes, associations de patients), réunis
sous l’égide du Comité national pour l’épilepsie. A la veille des Journées
françaises de l’épilepsie, qui se tiennent du 3 au 6 novembre à Montpellier,
ils lancent un appel aux pouvoirs publics pour une meilleure prise en charge et
un autre regard sur cette affection du cerveau.
Qualifiée de « maladie sacrée » dans l’Antiquité,
décrite par Hippocrate comme un dérèglement cérébral ou une perte de
connaissance dans la médecine de l’Inde antique, l’épilepsie a souvent été
associée à des phénomènes surnaturels, puis identifiée au Moyen Age comme « le
mal des possédés ». Elle jalonne l’œuvre de Dostoïevski, lui-même atteint de
ce qu’il appelait « le grand mal ».
Pathologie
multiforme
Touchant entre 500 000 et 1 million de personnes en
France, dont la moitié d’enfants, l’épilepsie est une pathologie multiforme.
Une personne peut faire une seule crise dans sa vie ou en avoir vingt par
heure. Elles surviennent la plupart du temps de façon imprévisible, prennent
des formes multiples. C’est une épée de Damoclès pour les personnes touchées…
De quoi s’agit-il ? D’une hypersynchronisation et d’une hyperexcitation d’un
nombre important de neurones du cortex cérébral, et ce de manière répétée,
définit Fabrice Bartolomei (neurologue à l’Institut des neurosciences de
Marseille) dans la revue Science & santé de septembre-octobre de l’Inserm.
C’est comme un court-circuit. Imparfaitement connues, les causes peuvent être
liées à la mutation d’un gène ou à des lésions cérébrales (privation d’oxygène,
AVC, tumeurs…).
On parle de « petit mal » ou de « grand mal ». Le
second terme fait référence aux crises convulsives qui marquent les esprits
mais qui sont en réalité les moins fréquentes. Les crises « de type absence »
surviennent plus souvent, comme le décrit une vidéo de la Fondation française
pour la recherche sur l’épilepsie. « C’est une brusque rupture, un grand trou
noir, une plongée dans une bulle de silence, etc. », note Véronique Laplane,
auteur d’Absente pour cause d’épilepsie (Coëtquen Editions, 2008). Après une
neurochirurgie en 2007, elle est aujourd’hui partiellement guérie. « Ces
absences peuvent arriver à tout moment, sans prévenir, en skiant, en
conduisant, en descendant des escaliers… », souligne cette mère de trois
enfants, chargée de mission à la Fondation Idée-Institut des épilepsies.
Dans certains cas, une chirurgie peut être proposée,
si la zone touchée n’est pas fonctionnelle
Si 60 à 70 % des patients touchés répondent
favorablement au traitement – même s’il faut en essayer plusieurs avant de
trouver le plus efficace –, 30 % sont dits pharmacorésistants. Cela signifie
qu’ils continuent à faire des crises. Dans certains cas, une chirurgie peut
être proposée, si la zone touchée n’est pas fonctionnelle. Des examens poussés
comme un électroencéphalogramme (EEG) associé à une capture vidéo sont
nécessaires.
Erreurs diagnostiques
L’enjeu du diagnostic est donc fondamental. Plusieurs
études montrent des erreurs diagnostiques dans 20 % à 25 % des cas, notamment
parce que le médecin est rarement présent au moment de la crise. « Des
patients qui ne sont pas épileptiques nous sont adressés pour une chirurgie :
en général, ils souffrent de crises psychogènes non épileptiques, insiste
Vincent Navarro (neurologue à la Pitié-Salpêtrière, à Paris). A l’inverse, on
voit des patients arrivés après des années de traitements, qui auraient pu être
opérés et sans doute guéris. »
Pis, « lors de passages aux urgences pour leurs
bébés, des parents se sont entendu dire : “Crise d’épilepsie, allez voir un
médecin traitant” », en attendant un rendez-vous avec un spécialiste six ou
sept mois plus tard, raconte Laïla Ahddar, présidente d’Epilepsie France, qui
parle aussi de « parcours du combattant ».
Autre cas : c’est avec sa fille cadette, qui souffrait
de retard mental, que l’épilepsie des trois enfants (aujourd’hui âgés de 14, 12
et 10 ans) de Virginia Duvanel a été diagnostiquée. Alors âgée de 3 ans, Avril
faisait 20 à 30 crises par heure, induisant un comportement agité. Le
diagnostic d’« épilepsie de l’absence » est alors posé pour ses trois enfants
par un neuropédiatre de l’hôpital Femme Mère Enfant, à Lyon.
Malgré l’importance du diagnostic et d’examens
complémentaires, l’EEG (électroencéphalogramme), outil essentiel, « est
actuellement dans une spirale négative », rapporte le docteur Arnaud Biraben,
président de la Ligue française contre l’épilepsie. En clair, « cela rapporte
50 centimes d’euro à un neurologue libéral. Dès lors, nombre d’entre eux s’en
sont détournés » et « cela ne rapporte pas non plus beaucoup aux hôpitaux ».
Les délais dépassent parfois une année. Or, « l’épileptologie sans EEG, c’est
comme conduire la nuit sans phares ».
Manque cruel de structures d’accueil
Les conséquences sont multiples. Car, contrairement à
une autre idée reçue, on peut mourir après une épilepsie. On compte 33 000
décès en Europe chaque année. En outre, les traitements ont souvent des effets
secondaires lourds : ralentissement du métabolisme, grande fatigabilité. Sans
compter des comorbidités. Pour certains patients, la crainte associée à la
probabilité d’une crise peut conduire à une dépression.
Il est aussi nécessaire d’adapter le traitement aux
différentes étapes de la vie. Ainsi, pour la femme enceinte, la Dépakine
(valproate) n’est pas recommandée, en raison du « risque élevé de
malformations congénitales » et de risque accru de troubles
neurodéveloppementaux pour les enfants exposés in utero.
Les retentissements de l’épilepsie sont nombreux,
notamment au niveau scolaire. « Rejet, honte, peur, mon fils a souffert du
regard des autres et de l’incompréhension du milieu scolaire », dénonce
Virginia Duvanel. La mère d’Emile, âgé de 17 ans, aujourd’hui hospitalisé,
dénonce de son côté le manque cruel de structures d’accueil, d’écoles spécialisées.
« Il nous revient la charge d’ouvrir les portes, dit-elle. Malgré quelques
lenteurs, notre fils a eu un parcours scolaire “normal”, jusqu’en seconde, dans
un lycée agricole. Mais son état de santé s’est dégradé. »
Initiatives
Pour remédier à ce manque de prise en charge, des
initiatives fleurissent, tel l’Institut des épilepsies (Idée), sorte de
plate-forme d’appui située à l’hôpital neurologique de Lyon, axée notamment sur
la formation des soignants, la recherche… qui doit être opérationnel en janvier
2016, souligne Marielle Prevos, cadre de santé au centre de lutte contre
l’épilepsie de La Teppe (Tain-l’Hermitage), qui insiste sur le rôle-clé des
infirmières cliniciennes spécialisées.
Paradoxe : alors que la prise en charge est inégale
et insuffisante, que la qualité de soins risque de se détériorer si rien n’est
fait, la recherche fondamentale sur l’épilepsie avance en France, avec
notamment les micropompes, qui visent à injecter des molécules uniquement sur
les zones à traiter.
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