Une chute de l’escabeau en faisant du bricolage, un ballon de rugby sur la tête, un accident de moto… On compte 155 000 traumatismes crâniens en France chaque année. Les cas graves sont pris en charge par les services d’urgence, la réanimation, la neurochirurgie, puis la rééducation… Un réseau bien balisé. Mais pour le reste, 80 % des cas, les « traumatismes crâniens légers », les conséquences ne sont pas forcément bénignes, et l’absence de prise en charge peut conduire à des « handicaps invisibles ».
De quoi parle-t-on ? Le traumatisme crânien léger est défini par un score de Glasgow (indicateur de l’état de conscience) entre 13 et 15, mesuré dans les trente minutes suivant le choc. Avec ou sans perte de connaissance immédiate, il est associé à une amnésie post-traumatique de une à vingt-quatre heures. Il comprend une série de symptômes, très variables d’un cas à l’autre : céphalées, douleurs cervicales, vomissements, vertiges, fatigue, troubles cognitifs et de la mémoire, de l’attention et de l’humeur, qui peuvent apparaître dès la phase aiguë du traumatisme.
La plupart du temps, ces troubles disparaissent dans les semaines qui suivent. Mais pour 15 % à 25 % des patients, ils persistent au-delà de trois mois, soit environ 15 000 personnes chaque année en France. Mais le lien entre ces symptômes et le traumatisme n’est pas toujours établi. « Tombée dans l’escalier trois semaines auparavant, une patiente n’arrivait plus à se concentrer, se disputait avec son mari car elle était très irritable, n’arrivait pas à faire deux tâches en même temps au travail, raconte un praticien spécialiste des traumatismes. Un médecin lui a dit : “Vous êtes déprimée”, sans faire le lien avec sa chute. »
Prise en charge adaptée
Face à ce constat, des spécialistes ont mis en avant la nécessité d’une prise en charge thérapeutique adaptée. Une consultation spécialisée a ouvert il y a quelques mois au centre hospitalier-universitaire (CHU) de Bicêtre (AP-HP), coordonnée par le professeur Nozar Aghakhani, neurochirurgien. Cette prise en charge s’appuie sur des études, promues par l’Institut pour la recherche sur la moelle épinière et l’encéphale sous la responsabilité du Pr Aghakhani. L’une d’elles a permis de construire une grille de tests prédictifs. Une autre, financée par la Fondation Paul-Bennetot, menée auprès de 181 patients, a montré l’intérêt d’une prise en charge précoce sur le devenir de ces patients. Le budget alloué par l’Agence régionale de santé d’Ile-de-France atteint 80 000 euros par an pour deux jours par semaine. L’évaluation se fait sur une demi-journée.
Rémi (le prénom a été changé) consulte ainsi après une chute de moto survenue deux mois plus tôt.
Après un rapide passage aux urgences, il est reparti, sans symptômes apparents. Mais depuis l’accident, il souffre de maux de tête, a des troubles du sommeil, s’énerve facilement. Après l’examen médical, Delphine Nouvet, neuropsychologue, lui propose une batterie de tests afin de mesurer ses capacités cognitives (mémoire, attention, langage). « On constate souvent après un traumatisme crânien léger une plus grande irritabilité, moins de motivation, une sensibilité au bruit, et des troubles anxieux », détaille Delphine Nouvet. Elle évalue aussi la fatigue, la capacité visio-spatiale, le niveau de stress. Suit une consultation d’ergothérapie afin d’évaluer la qualité de vie (certaines personnes ne peuvent plus faire leurs courses par exemple).
Après concertation entre thérapeutes, une prise en charge est proposée – y compris à distance –, en s’appuyant sur les capacités préservées. Des aménagements peuvent être proposés dans la vie quotidienne ou professionnelle.
Une sidération
« Il existe aussi un syndrome subjectif, explique la neuropsychologue Sylvie Chokron (Fondation ophtalmologique Rothschild, CNRS). C’était le cas d’un patient qui se plaignait d’amnésie, alors que rien, dans les tests, ne le laissait supposer. » Pour la clinicienne, le traumatisme crânien léger s’apparente à une sidération, « comme si on débranchait l’ordinateur sans avoir sauvegardé ». « Ces plaintes dites “subjectives” ne sont pas à prendre à la légère », insiste-t-elle.
« L’information est essentielle : on s’est aperçu que celle qui est donnée aux urgences ne sert à rien.
Le patient et son entourage sont souvent en état de choc. Il est donc utile de voir les patients dans les huit à vingt jours après l’accident », ajoute le Pr Aghakhani. « Identifier ces patients précocement, c’est un enjeu de santé publique », confirme le docteur Maurice Raphaël, chef du service des urgences du CHU de Bicêtre et membre de la Société française de médecine d’urgence. Enjeu auquel il faut sensibiliser les professionnels de santé.
Retentissement sur la vie sociale et professionnelle
Discrets en apparence, ces troubles n’en sont pas moins handicapants, avec un retentissement sur la vie sociale et professionnelle qui peut être majeur. L’association Handicap invisible, créée en 2008 par le docteur Olivier Serfati, vise à faire reconnaître cette problématique. « Le but est d’éviter que les symptômes s’enkystent », explique Marie-Eléonore Afonso, avocate et membre de l’association. « On a souvent un problème d’imputabilité. On voit des personnes licenciées pour faute grave et qui souffraient de ce trouble », souligne-t-elle. Comme ce chef d’équipe dans le bâtiment présentant des troubles de la mémoire, de l’attention et du comportement faisant soudain des blagues salaces, sans avoir conscience de son état – un exemple d’anosognosie. Le médecin du travail n’a pas été alerté.
Ces symptômes peuvent aussi être majorés par des troubles antérieurs : dépression, anxiété, troubles de l’apprentissage pour un enfant, maladie dégénérative pour une personne âgée… Il faut aussi être très vigilant sur de tels traumatismes répétés. Selon le docteur Raphaël, « la répétition des traumatismes crâniens légers au cours de matchs de foot, de rugby ou de sports de contact, non suivie de consultation, expose à des complications potentiellement invalidantes ».
Centre d’évaluation et de prise en charge multidisciplinaire du traumatisme crânien léger du CHU de Bicêtre. Tél. : 01-45-21-74-90. Mail : consult.trauma-cranien@bct.aphp.fr
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