Les associations et la ministre de la Santé, Marisol Touraine, dénoncent l’adoption par un Sénat, marqué à droite, de la proposition de loi relative à la prostitution, qui rétablit le délit de racolage public, et supprime la pénalisation du client.
Les sénateurs ont adopté, le lundi 30 mars, la proposition de loi « visant à la lutte contre la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle, contre le proxénétisme et pour l’accompagnement des personnes prostituées » par 162 voix pour et 42 voix contre (socialistes, communistes, écologistes, et quelques UDI).
Le texte a été au préalable profondément remanié par rapport à celuivoté par l’Assemblée nationale, en décembre 2013, et l’avis de la commission spéciale du Sénat de juillet 2014. Depuis, le Sénat a changé de majorité et la commission spéciale sur le sujet a été renouvelée de moitié.
Le texte voté par le Sénat supprime l’article 13, qui abrogeait le délit de racolage public, institué sous la présidence de Nicolas Sarkozy, en 2003. En revanche, il confirme la suppression de la pénalisation du client, réintroduite par la commission spéciale le 25 mars dernier.
Les sénateurs ont également adopté un amendement permettant un blocage des sites Internet utilisés par les réseaux de proxénétisme ou de traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle.
« Régression des droits des femmes », pour Touraine
La ministre de la Santé a fait part de son regret de voir « la régression des droits des femmes dans le texte adopté ». Marisol Touraine s’en prend au délit de racolage : « Cela fait des femmes, des hommes, mineurs et majeurs, maintenus sous la coupe des réseaux internationaux de traite des êtres humains, des coupables, au lieu de les reconnaître comme des victimes. Il constitue un obstacle majeur à leur accompagnement par les associations spécialisées », écrit-elle. Elle déplore également la suppression de la pénalisation des clients : « Cela nous prive d’un outil majeur pour faire reculer la demande, et donc la prostitution. »
« Le Sénat, poussé par une logique sociale obtuse, vient de voter un texte régressif qui, loin d’apporter la moindre réponse aux problèmes de la prostitution, les renforce », a réagi Juliette Méadel, porte-parole du PS. Le PCF a aussi stipendié « un recul inacceptable », qui signe « un renoncement de fait à la perspective d’abolir la prostitution ».
Le texte doit repartir en deuxième lecture à l’Assemblée, qui aura le dernier mot en cas de désaccord entre les deux chambres. Marisol Touraine a indiqué qu’elle voulait « clairement »réintroduire la pénalisation des clients lors du retour du texte à l’Assemblée nationale.
Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh) « compte sur la sagesse de l’Assemblée nationale, et sur le dépassement des clivages partisans, pour que la proposition de loi retrouve l’équilibre de départ ». Dans son avis du 4 novembre 2013, le HCEfh écrivait :« L’égalité femmes hommes ne sera atteinte tant que la prostitution sera tolérée, qu’il sera possible de nier le désir d’un/e autre au moyen de l’argent et que l’idée que le corps des femmes est une marchandise sera acceptée. »
Aides déplore une posture sécuritaire
Les associations aussi dénoncent les choix du Sénat, parfois pour des raisons différentes. Le Mouvement du Nid, qui prône l’abolition de la prostitution, critique un vote « réac, déshonorant, et irresponsable qui protège l’impunité des clients », tandis que le Syndicat du travail sexuel (STRESS), qui défend le droit à la prostitution et lutte contre le proxénétisme, conteste « deux formes de pénalisation, celle du racolage, qui ne sert à rien pour lutter contre le travail forcé, et celle du client ».
Rejetant dos à dos droite et gauche pour se placer du point de vue de la santé, Aides regrette« une posture sécuritaire qui continuera d’aggraver le sort des personnes prostituées, en particulier des plus vulnérables ». « Toutes les mesures contraignantes, pénalisantes, sont contraires à la santé publique et à des stratégies de réduction des risques », explique au « Quotidien » Bruno Spire, président de Aides. « On peut comprendre le souhait d’abolir la prostitution, mais cela ne change pas notre problème : comment éviter les contaminations et transmissions ? La santé est, comme toujours, absente du débat qui se joue sur la morale », poursuit-il.
Selon lui, le délit de racolage fait des prostitué(e)s des coupables. « On va payer des policiers pour les suivre, au lieu de soutenir les associations qui font de la prévention », dénonce-il. La proposition de la gauche, de pénaliser le client, n’est pas moins dangereuse pour ces populations vulnérables, explique-t-il : « Il sera plus difficile de trouver des clients. Donc, les prostitué(e)s accepteront de prendre davantage de risque, et n’oseront pas refuser un rapport sans préservatif. » Aides appelle les parlementaires à concentrer les efforts sur la lutte contre la traite, à soutenir les associations de prévention, et à intégrer les prostitué(e)s au système de santé.
Coline Garré
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