LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | | Par Pascale Krémer
L’enfant flotte dans son lit d’hôpital comme un naufragé sur son radeau, au milieu de l’océan. Recroquevillé, minuscule, cramponné à la main de sa mère qui, elle, semble sereine. Federica a vu son fils de 5 ans qui, quelques jours plus tôt, avait pourtant pleuré durant l’intégralité de la consultation d’anesthésie, partir vaillamment au bloc opératoire et en revenir sans davantage de sanglots. « Accompagné », apprécie-t-elle, par un jeu vidéo.
Ce tour de passe-passe anti-angoisse, elle le doit à Nolwenn Febvre, une infirmière anesthésiste qui a transformé le service de chirurgie pédiatrique de l’hôpital Sud, à Rennes, en vaste jeu pour enfants, les patients en héros, les médecins en bonshommes numériques. Et a ainsi arrêté les pleurs.
Trop souvent, le soir, dans sa tête, résonnaient les hurlements entendus dans l’antichambre de la salle d’opération. Petits terrorisés malgré les calmants, adultes pas loin de l’être autant au moment de s’éclipser. En 2011, usée par dix années de bloc, la jeune quadragénaire rêve de missions moins rudes. Mais envoie, sait-on jamais, un courriel au fabricant de jouets nantais Moulin Roty : n’aurait-il pas quelques doudous à offrir pour rassurer les enfants opérés en urgence ? Une centaine d’entre eux, arrivés en renfort, apaisent patients et soignants, moins impuissant face à la tristesse.
L’argent viendra du ferrailleur
Comment en financer d’autres ? Nolwenn Febvre embringue infirmiers et médecins anesthésistes dans un même élan et dans une association (Les P’tits Doudous de l’hôpital Sud) qui n’envisage pas de solliciter la direction financière. Trop de restrictions budgétaires. L’argent viendra du ferrailleur du coin : les 40 blocs opératoires du CHU se mettent à collecter les fils des bistouris électriques et les lames des laryngoscopes pour intubation, auparavant jetés après usage. Du cuivre et de l’Inox pour 200 euros par mois. Et 4 500 doudous à prix d’ami.
Le lapin a du bon mais n’empêche pas les hurlements quand les parents s’éloignent. C’est à la maison qu’un beau jour la solution saute aux yeux de l’infirmière, épouse d’informaticien et mère de deux enfants, tous scotchés à leur tablette. Un jeu vidéo qui reproduirait l’univers hospitalier avec des étapes à franchir jusqu’à l’opération, dès lors dédramatisée. Elle cherche l’application adaptée.
Vainement. Même les Canadiens, si pionniers, n’y ont pas pensé. « Alors, on va la créer », dit-elle aux membres de l’association. Ils rient de bon cœur avant de comprendre que la présidente ne plaisante pas.
La voilà alors lancée dans les dossiers pour décrocher les financements (les fondations d’entreprise B. Braun et Orange), dans les soirées boulot en crêperie pour convaincre les amis, les amis d’amis, les patrons d’amis d’amis, de jouer les graphistes low cost ou de « prêter » deux ingénieurs, durant deux mois, pour concevoir le tout – un mécénat de compétence de la société rennaise Niji. Au printemps 2014, le jeu vidéo « Le héros c’est toi ! » est chargé sur une quinzaine d’iPad. L’hôpital et ses soignants ont été photographiés, filmés, pixelisés, la réalité est devenue ludique.
Dès l’installation dans la chambre, parents et enfants (de 3 à 10 ans) ont de quoi s’occuper l’esprit : ils entrent le nom du futur opéré sur la tablette, lui créent un avatar, se prennent en photo, lisent les consignes, pointent sur la tablette les objets présents dans la chambre… Quand l’infirmière gonfle le tensiomètre à bras, redoutable déclencheur de pleurs, le patient fait la course avec elle, tapotant frénétiquement l’écran pour donner de l’ampleur au ballon. Même pas mal ! Sur le brancard qui roule vers la salle d’opération, il n’est plus allongé mais assis : il lui faut repérer dans les couloirs les posters de robots ou de girafes dessinés dans le jeu. Le brancardier ralentit bien un peu, à moins qu’il n’accélère. Conducteur et passager en rigolent.
Mot d’encouragement
Au moment fatal de la séparation, l’enfant est placé sous un mobile suspendu au plafond, avec des poissons. Les mêmes que ceux qui tombent du ciel dans son jeu, et qu’il doit récupérer avec un aquarium. Lorsqu’il y est parvenu, qu’enfin son nez se lève, les parents ont pris le large, mais sur l’iPad, un coffre au trésor assure leur présence virtuelle : en cliquant dessus, apparaissent le petit mot d’encouragement qu’ils ont rédigé et leurs photos.
Arrivé en salle d’opération, le patient reconnaît, derrière les masques, des visages déjà familiers en version numérique. Lui aussi doit se saisir d’un masque, d’anesthésie celui-là, et respirer fort pour faire grandir les montagnes sur l’écran du respirateur comme sur sa tablette. Il s’endort sans heurts. L’équipe n’a plus qu’à rattraper l’iPad au vol. « On doit maintenir un enfant par semaine, pour l’anesthésie, au maximum. Avant, c’était un par jour », jauge Claire de Crisenoy, infirmière anesthésiste.
Les tablettes à housses colorées soulagent les parents, qui confient avoir vu leur enfant « partir au bloc avec le sourire », autant qu’elles convainquent les médecins, ravis d’avoir quasiment abandonné les anxiolytiques préopératoires. Séverine Delahaye et Nicolas Nardi, médecins anesthésistes, voient combien le réveil s’en trouve facilité – point crucial en chirurgie ambulatoire. « Le jeu semble avoir un vrai impact sur l’anxiété due à la séparation, constate aussi le docteur Nardi. Or c’est elle, surtout, qui cause les troubles de comportement dont encore 30 % des enfants souffrent deux semaines après l’opération, selon une étude américaine de 2000. » Sur la feuille de consultation accrochée au pied des lits, on peut désormais lire « Prémédication : tablette ».
Deux études, dont une thèse, sont en cours. Nolwenn Febvre a fait tomber quelques préjugés au CHU. Elle cosigne des articles avec les médecins. A enregistré sa conférence TED au milieu des créateurs de start-up. Se démène pour recueillir 55 000 euros à travers une campagne de financement participatif lancée fin février sur le site Ulule (jusqu’à fin avril). Une poignée d’hôpitaux français et européens l’ont contactée, séduits par le jeu. « Mais pour le leur donner, l’adapter, développer une plate-forme d’échanges, il nous faut des sous. »
A côtoyer le monde de l’innovation technologique, d’autres idées lui sont venues. Comme celle d’une application facilitant les prises de sang chez l’enfant, d’une autre encore pour s’orienter dans les méandres du CHU. Des balises ont été installées dans son service afin d’adapter le rythme de défilement du jeu au parcours de l’enfant. Il suffirait d’en poser partout… Des doudous au serious game, et ce n’est qu’un début.
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