C’est un lieu historique de la psychiatrie publique de l’après-guerre : le secteur de Corbeil, au sud de Paris. Historique, car en 1971 Lucien Bonnafé a créé «les Mozards» dans le désert sanitaire de l’Essonne. A Corbeil-Essonnes, ce lieu ouvert a permis à ce psychiatre de mettre en pratique le désaliénisme, notion qu’il défendait entre toutes. Lucien Bonnafé, homme magnifique, était un militant communiste lié au milieu surréaliste. Pendant la guerre, il a dirigé l’hôpital Saint-Alban, établissement perdu en Haute-Loire où, avec un psychiatre espagnol anarchiste, François Tosquelles, il a jeté les bases de la psychothérapie institutionnelle, à l’origine du secteur. «Mais enfin qu’est-ce que c’est que la psychiatrie de secteur ? C’est essayer des pratiques faisant penser autrement», lâchait-il aux sceptiques.
Le principe de la psychiatrie de secteur, c’est le refus de la ségrégation du malade mental. Cela nécessite de la part de l’équipe soignante un travail d’intégration, de maintien ou de réintégration du patient dans son milieu familial social. A Corbeil, puis partout en France, c’est devenu la règle. Mais «aujourd’hui, ce secteur historique est menacé», alerte le psychiatre Paul Bretécher, une des figures du secteur de Corbeil. «Attendez, rétorque Jean-Michel Toulouse, le directeur de l’hôpital Sud-Francilien, dont il dépend, ce n’est pas la fin d’un CDD qui vous met en péril.» Ce directeur n’a pas tout à fait tort, ni tout à fait raison. A l’heure de la rigueur, le monde de la psychiatrie publique subit un durcissement budgétaire bien réel.
Dans ce secteur de Corbeil, Paul Bretécher, qui demandait simplement trois mois de rab avant de prendre sa retraite pour aider son successeur, a vu sa demande refusée. Et une psychologue, en charge de l’hôpital de jour, a vu son CDD brutalement arrêté. «Ils ne se rendent pas compte que suivre et accompagner un psychotique ne se fait pas en durée déterminée», murmure-t-elle. Elle a raison : c’est un lent tissage de liens pour s’occuper des malades, il faut du temps, de la présence. «Ce sont des mesures bureaucratiques, ils sont dans un autre monde», a réagi la chef de secteur.
Aux Mozards, les visages sont sombres. On dénonce pêle-mêle les coupes budgétaires, l’excès de bureaucratie, l’incohérence de la direction qui demande des projets tout en réduisant les coûts. Un combat juste, mais il manque singulièrement un Lucien Bonnafé, avec sa voix forte et sa faculté d’avancer quoi qu’il arrive, «même sous les bombes».
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