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mardi 28 avril 2015

Le «juste» prix d’un médicament

PIERRE-YVES GEOFFARD PROFESSEUR À L'ECOLE D'ECONOMIE DE PARIS, DIRECTEUR D'ÉTUDES À L'EHESS. 
En marge des négociations multilatérales conduites dans le cadre de l’OMC, les Etats-Unis et l’Inde sont actuellement engagés dans des discussions bilatérales pour promouvoir le commerce entre leurs deux pays. Parmi les points en débats, plusieurs questions portent sur la propriété intellectuelle et, notamment, la manière dont l’Inde attribue des brevets, qui garantissent dans son pays un monopole sur un produit ou une technologie de production. L’un des secteurs directement concernés par ces négociations est celui du médicament.
L’Inde dispose aujourd’hui d’une importante industrie pharmaceutique, et figure notamment parmi les principaux pays producteurs, et exportateurs, de médicaments génériques. Cette industrie s’est fortement développée à partir des années 70, lorsque l’Inde a décidé d’abolir les brevets protégeant les inventions des grands laboratoires internationaux. La découverte et le développement de nouveaux traitements peuvent prendre de longues années et nécessiter plusieurs milliards de dollars d’investissement, mais on peut assez facilement en réaliser des copies, souvent pour un faible coût.
Le secteur pharmaceutique est ainsi une industrie à coûts fixes élevés et coûts marginaux faibles. Bref, l’exemple même d’un secteur où une concurrence intensive permet de réduire à néant les marges, mais rend difficile la récupération des coûts fixes en l’absence de régulation adéquate.

La manière la plus classique de protéger l’innovation de cette concurrence, délétère pour l’innovation, passe par l’octroi pendant plusieurs années d’un droit de monopole. Mais alors que l’invention constitue un bien public global, pouvant bénéficier à l’ensemble des populations de la planète, un brevet ne protège le producteur que dans le pays qui le reconnaît. Qui plus est, les conditions d’attribution diffèrent fortement d’un pays à l’autre. Certains pays, dont l’Inde, réservent les brevets à des produits «réellement nouveaux», alors que d’autres ont une vision plus large de l’innovation. En outre, le paradoxe fondamental des brevets est qu’en garantissant au producteur un prix élevé, à travers un pouvoir de monopole, ils privent des populations entières de l’accès à l’innovation pendant la durée du brevet.
Dans le cas des produits de santé, cela apparaît profondément choquant, car les nouveaux médicaments peuvent sauver des vies. Ainsi, les tribunaux indiens ont rejeté la demande de brevet déposée par Gilead pour le sofosbuvir, traitement très efficace contre l’hépatite C. Aux Etats-Unis, ce traitement est vendu 840 00 dollars, en France 41 000 euros, mais des fabricants indiens de génériques estiment pouvoir le vendre à moins de 1 000 dollars, tout en restant profitables.
De nombreux militants de la santé ont applaudi cette défense des génériques, d’autant plus précieuse que les producteurs indiens fournissent de nombreux pays à faible revenu. Mais, si elle était appliquée partout, on voit mal des firmes pharmaceutiques s’engager dans la recherche de nouveaux médicaments… Alors que faire ?
Des modes de régulation différents doivent être expérimentés, pour résoudre différemment l’arbitrage entre incitations à l’innovation et accès de tous à l’innovation.
Une prise en charge publique du coût des essais cliniques, en contrepartie de prix plus bas, pourrait réduire le coût de la recherche, tout en préservant l’intérêt des firmes pharmaceutiques. Les organismes d’assurance maladie, ou les fonds d’aide au développement dans le cas des nombreuses pathologies frappant les pays pauvres, pourraient aussi définir un cahier des charges décrivant les caractéristiques de médicaments désirés, et se pré-engager à en acheter un certain volume, à un prix récompensant l’effort de recherche.
Dans tous les cas, la question qui reste posée est celle du «juste» prix des médicaments une fois disponibles. Le plus souvent, la détermination de ce juste prix passe par une estimation, toujours délicate, des coûts de production, et l’application d’une marge «raisonnable», dont les critères sont pourtant mal définis. D’autres méthodes, qualifiées de value based pricing, s’appuient au contraire sur une estimation de l’utilité sociale d’un nouveau médicament pour définir son prix, indépendamment du coût de production. Une telle approche permet de répartir, pendant quelques années, les gains de l’innovation entre le producteur et les malades, avant d’autoriser les génériques qui, à travers la pression concurrentielle, font basculer l’ensemble des gains vers la population. Ces méthodes fournissent une voie moyenne, intermédiaire entre l’extraction de tout le surplus social par un monopole laissé libre de déterminer son prix, et une ouverture trop rapide à la concurrence des génériques.

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