Pour empêcher – ou du moins limiter – la consommation de cannabis chez les adolescents, la France a-t-elle fait les bons choix ? La question est posée alors qu’après dix ans de stabilisation à un niveau élevé, les mauvais chiffres publiés mardi 21 avril par l’Observatoire français des drogues et toxicomanies (OFDT) montrent que l’usage de cannabis chez les adolescents est reparti à la hausse. Avec un jeune de 17 ans sur deux ayant déjà expérimenté le cannabis, et près d’un sur dix qui fume régulièrement des joints, le plan contre les conduites addictives annoncé fin 2013 par le gouvernement pourrait ne pas être suffisant. Plusieurs experts estiment aujourd’hui que de nouvelles pistes devraient être discutées.
« Face à ces chiffres, que faire ? », a réagi dans un communiqué la Fédération Addiction, qui regroupe des professionnels de la prévention et de la réduction des risques. Elle y fait le constat de « l’échec d’une politique portée depuis des années qui, en France plus qu’ailleurs, a privilégié une réponse binaire – la pénalisation et le soin –, alors que la majorité de ces jeunes ne sont ni des malades, ni des délinquants ». Elle estime qu’en se posant uniquement la question de la maladie, et non pas celle de l’usage, l’on passe à côté de la majeure partie des consommateurs.
« Autant à un moment les risques étaient banalisés, autant, ces dernières années, dans les médias et du côté des pouvoirs publics, il a beaucoup été question des dangers (au volant, pour la santé mentale…), mais c’est un discours que n’entendent pas les jeunes, les chiffres le montrent, explique Jean-Pierre Couteron, psychologue et président de cette fédération. On les menace de prison et de schizophrénie, mais ça ne marche pas ». Il estime qu’il faut davantage se demander « pourquoi les jeunes vont vers le cannabis, et à quoi ça leur sert ».
Sociologue française en poste à l’université de Fribourg (Suisse), Sophie Le Garrec se montre elle aussi critique. « Que le gouvernement soit de gauche ou de droite, les politiques de santé publique s’y prennent mal en France. » Pour elle, il faudrait « sortir la prévention du milieu médical ». La chercheuse note « un énorme problème de discours », « médicalisé, psychologisant et moralisant » qui peut s’avérer contre-productif.
Elle estime qu’il y a en France un déficit d’études qualitatives sur les consommateurs : « L’énoncé de chiffres, c’est important, mais ça ne permet pas d’expliquer le sens des consommations. Pourtant il serait temps de savoir », juge-t-elle, rappelant la pression qui pèse sur les adolescents dans une société hantée par le chômage. L’OFDT vient justement de lancer une étude sur la construction des habitudes de consommation chez les jeunes. Une typologie des consommateurs devrait aussi être définie. « C’est un point aveugle des connaissances actuelles, reconnaît François Beck, le directeur de l’Observatoire. L’étude permettra également d’élaborer des hypothèses quant aux facteurs de réussite des stratégies de prévention. »
Intervention précoce
Le retard concernerait également la mise en place et la diffusion de dispositifs qui ont fait leurs preuves à l’étranger, selon la Fédération Addiction. Celle-ci réclame une accélération du développement d’outils comme le Strengthening Families Program (SFP), déployé dans 22 pays, qui vise à renforcer les compétences des familles sur la question du cannabis. Même chose avec les dispositifs dits d’intervention précoce qui visent à entrer plus tôt en contact avec les consommateurs, avant qu’ils en soient arrivés à consulter un addictologue.
« Même si cela se fait de moins en moins, quelqu’un qui vient dans une classe avec une mallette et dit “le cannabis, c’est dangereux”, c’est contre-productif. Il faut une prévention sur le long cours, avec des intermédiaires formés sur le terrain », explique Olivier Phan, addictologue à la Croix-Rouge et à la Fondation Santé des étudiants de France. Pour réduire la consommation chez les adolescents, des experts recommandent que les adultes en contact avec les ados, tout comme les médecins généralistes et les psychologues pour adolescents, soient davantage formés en addictologie.
« Une politique faite par des adultes avec des yeux d’adultes n’est pas audible pour des adolescents », résume Michel Reynaud, président du fonds Actions Addictions, qui rassemble des associations de patients, de familles et de chercheurs. Pour lui, « la politique des quinze dernières années a fait la preuve de son inefficacité ». Ce médecin prône donc, comme d’autres, une « révision » de la loi de 1970 sur les stupéfiants, soit par la contraventionnalisation de l’usage du cannabis, soit par la régulation par l’Etat, « qui pourrait avoir une action conjointe sur l’ensemble des comportements problématiques ». Une réflexion que refusent d’engager les responsables politiques, de droite comme de gauche.
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