Par Trang Dao, psychiatre à Montréal (Canada) et Jean Pariès, président de la société de conseil Dédale, spécialisée dans gestion de la sécurité dans les grands systèmes sociotechniques
Les crashs liés à la déficience psychiatrique d’un pilote représentent moins de 2% des accidents aériens sur les 40 dernières années. Même si ce pourcentage est probablement sous-estimé par manque d’expertise psychiatrique au sein des enquêtes, ces événements restent rares. Mais l’exemple récent de Germanwings rappelle à quel point ils sont insupportables. Avec les évidences trompeuses de la rétrospection, on cherche alors facilement des boucs-émissaires : « comment a-t-on pu laisser A. Lubitz accéder à ce cockpit alors qu’il présentait des signes si évidents ? » …
La prévention de tels désastres représente en réalité un défi considérable, qui peut se résumer à deux questions : peut-on empêcher les profils à risque psychiatrique d’accéder aux cockpits ? Sinon, peut-on les y empêcher de nuire ? Sur la seconde, même si on peut espérer progresser grâce à la technologie (porte de cockpit plus « intelligente », couplage de certaines alarmes avec le pilote automatique, etc.) ou le recours au collectif (ex. présence permanente de deux personnes au cockpit), il restera quasiment impossible de contrer les impulsions suicidaires d’une personne experte sur l’avion et vraiment déterminée à mourir. Nous consacrons cet article à la première question.
LIMITES DE LA DÉTECTION
Les candidats pilotes de ligne sont sélectionnés selon des normes internationales d’aptitude comprenant des tests psychologiques. Ceci a pu donner l’impression que tous ceux qui sont retenus bénéficient d’une bonne santé mentale. En fait, à la différence de ce qui se pratique dans l’aviation militaire, aucun examen réel de santé mentale n’est pratiqué dans l’aviation civile, et cela, depuis le début de son histoire. Les pilotes doivent simplement remplir un questionnaire dans lequel ils sont censés « auto-diagnostiquer » un éventuel contexte de trouble mental et le signaler.
Cette stratégie, reproduite à chaque visite médicale périodique, est peu efficace. Le tabou de la maladie mentale, toujours bien vivace, entrave la détection dans la population générale, et joue évidemment pour les pilotes : leur sous-signalement n’est donc pas juste un camouflage malhonnête. Mais pour eux la crainte additionnelle de perdre la licence est considérable ; même l’amende de 250 000 dollars prévue aux Etats-Unis pour déclaration falsifiée représente un « faible coût » comparé à l’investissement et aux sacrifices souvent consentis pour accéder à ce métier.
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