EXPOSITION
Des modèles d’artistes et de couturières aux créatures des vitrines en passant par les poupées de cire ou de son, le musée Bourdelle retrace l’histoire des mannequins depuis le XVIIIe siècle.
Il est silencieux, discret et pourtant iconoclaste et subversif. Il est à l’image du corps humain, en cire, bois, osier, mais il dérange, corps morbide et articulé. Il sert de modèle aux artistes, on le retrouve presque vivant dans les toiles. Il peut passer de l’accessoire caché de l’artiste au fétichisme le plus exacerbé, de l’état d’objet au concept, liant l’art, la mode, le corps, le sexe, la mort : c’est le mannequin d’atelier devenu en quelques siècles mannequin de vitrine, dont l’histoire est retracée dans «Mannequin d’artiste, mannequin fétiche», belle et curieuse exposition au musée Bourdelle, fraîchement rouvert après huit mois de travaux.
La balade commence dans les ateliers du sculpteur, où quelques corps de bois sont glissés en clin d’œil à l’expo : 150 objets, peintures, dessins, sculptures, photos, poupées, mannequins d’artiste, de vitrine, anatomiques, le tout en neuf actes, comme au théâtre. Parce que, explique Jérôme Godeau du musée Bourdelle,«l’histoire du mannequin tient vraiment de la dramaturgie et de la scénographie, jouant à la fois la doublure et le rôle-titre, passant du simple accessoire au rôle du héros». Neuf comme les neuf muses d’Apollon au théâtre des Champs-Elysées, sculptées par Bourdelle, évidemment.
L’expo, qui nous vient de Cambridge, a commencé sa vie avec Jane Munro, auteure d’un ouvrage impressionnant sur la question (1) et commissaire anglaise qui a porté le projet pendant six ans au Fitzwilliam Museum. Dans sa version parisienne, dans ce petit musée à taille humaine, c’est presque impressionnant de se trouver seul face à face avec ces yeux vides, ces corps articulés incroyablement modernes, presque robots à la Goldorak. Cette création de l’Academia Carrara de Bergame, par exemple : c’est l’un des seuls et derniers témoins du mannequin d’artiste du XVIIIe siècle, sur sa chaise. «Il est articulé, grandeur nature, et instable, raconte Jerôme Godeau. Nous avons dû le ligoter pour le transporter et l’installer sur sa chaise. Une étrange scène qui tenait tout à la fois du rituel fétichiste et de la Passion d’un Christ aux outrages.» D’emblée, le mannequin dérange, corps idéal, muet et docile, alors qu’il va «fonder toute une tradition plastique pendant cinq siècles», reprend le commissaire.
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