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vendredi 13 février 2015

Le coup de gueule du Pr Abdel-Rahmène Azzouzi, médecin et musulman, ancien élu local

 13/02/2015

C’est un véritable pavé dans la mare que vient de lancer Abdel-Rahmène Azzouzi, chef du service d’urologie au CHU d’Angers. Sa décision de démissionner de son mandat de conseiller municipal d’Angers devrait marquer le débat actuel d’après les attentats d’il y a un mois à Paris. « Insidieusement, la France est probablement devenue la nation démocratique la plus islamophobe du monde », écrit ce médecin dans une tribune libre publiée mardi dans le magazine « le Monde des Religions ». Pour « le Quotidien », le Pr Abdel-Rahmène Azzouzi revient sur sa position.
Le Quotidien : La tribune que vous avez publiée dans « le Monde des Religions » mardi est intitulée : « Devrais-je faire semblant ? »et vous la commencez par ces mots : « Il faudrait peut-être que je continue à faire semblant de partager un chemin commun avec vous dans une France qui chaque jour renie un peu plus ses valeurs républicaines. » Vous qui êtes ce qu’on appelle communément un pur produit du système républicain, expliquez-nous ce qu’il s’est passé pour en arriver à votre tribune qui veut interpeller directement l’ensemble des élus du pays.
Pr Abdel-Rahmène Azzouzi : Comme dirait Alain Minc : « Je ne m’intéresse pas. » Il ne s’agit pas de se satisfaire de sa petite trajectoire personnelle mais de se soucier d’autrui. Ce sont aussi cela les valeurs que la République m’a inculquées. Certains sortent de leur confort pour aller opérer en Afrique, ce qui est tout à leur honneur. Moi, je tente de prévenir l’incendie dans ma maison, la France.

Votre engagement est ancien et a pris jusque-là différentes formes pour promouvoir la place des musulmans de France : club XXIe siècle, création du Centre de réflexion des musulmans d’Anjou et aussi engagement politique à travers votre mandat local depuis 2008. Donc, les observations que vous faites sur les discriminations, le racisme, le manque de reconnaissance de la société et des politiques n’ont pas attendu les événements de début janvier. Qu’est-ce qui a changé depuis et qui justifie votre décision  ?
Je suis chirurgien de formation. J’estime que la qualité première d’un chirurgien est la gestion du risque. Lorsqu’il est grand, voire imminent, la situation devient exceptionnelle et le ton peut changer. Il est vrai que nous raisonnons sur le temps long. Cependant, les événements dramatiques de janvier nous ont frappés en plein cœur. Des Français ont tué des Français. Nous avons atteint là une limite de ce qui est supportable pour notre cohésion sociétale. Accepter plus, c’est le cautionner.
Le journal local « Angers Magazine » vous présente comme un« notable », terme que vous semblez ne pas récuser. Vous pensez qu’être « dans » le système n’est plus la bonne solution... Dans une interview accordée en  2009 à un site Internet*, vous disiez pourtant : il faut entrer en politique...
Cela fait sept ans que je suis conseiller municipal et cela fait sept ans que je vois notre société se déliter sans pouvoir influencer sur le cours des événements. L’organe n’engendre pas forcément la fonction. Un élu de la République doit se considérer comme garant de nos valeurs républicaines et de la bonne application de notre Constitution et de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Les élus ne doivent servir d’alibi à un État qui demande à ses citoyens d’appliquer et de respecter l’ensemble de ces valeurs quand lui-même ne le fait pas. Ces dernières semaines post-attentats en sont la démonstration même, avec un « patriot act » qui ne dit pas son nom.
Vous avez réussi médecine et vous vous êtes spécialisé en chirurgie urologique. Le fait d’être de confession musulmane a-t-il été un frein et depuis un mois, vous a-t-on stigmatisé ?
Globalement, non. Le fait d’être musulman ne m’a pas plus freiné qu’un autre. J’ai eu quelques rencontres au sein de la profession qui étaient clairement teintées d’islamophobie ou de racisme anti-arabe, mais les heureuses rencontres, dont certaines se sont transformées en belles amitiés, ont été beaucoup plus nombreuses. La vie n’est un long fleuve tranquille pour aucun de nous. Depuis un mois, (je n’ai subi) absolument aucun incident et même (au contraire) quelques marques de solidarités spontanées très touchantes. Ceci illustre bien mes propos : le problème n’est pas le peuple de France mais bien son État qui n’est tout simplement pas à la hauteur du peuple dont il a la responsabilité des affaires.
Force est de constater que cet État qui est particulièrement exigeant avec ses citoyens l’est beaucoup moins avec lui-même et ce ne sont pas les résultats du chômage ou bien sa gestion de la politique de la santé qui me contredira. Concernant la gestion de la place de l’islam de France, le même constat d’échec est à faire. Le peuple est souverain et l’unique raison d’être de l’État est de le servir dans le respect des valeurs républicaines. Malheureusement, beaucoup trop de nos concitoyens, musulmans ou non d’ailleurs, ne sont pas logés à cette enseigne. Au bout du compte, ce que nous demandons est plus de valeurs républicaines et plus de laïcité sur le maximum de territoires de notre pays et pour le plus grand nombre de nos concitoyens.
Parleriez-vous d’un apartheid médical comme vous parlez d’un apartheid médiatique et politique dans votre tribune ?
En aucun cas. La médecine est ce territoire où la vie et le respect de l’être humain prennent tout leur sens. Pour avoir pratiqué régulièrement à l’étranger, j’ai pu constater que la médecine française est une des meilleures du monde. Une médecine d’une telle qualité ne peut en aucun cas être le fruit d’une mentalité d’apartheid.
Propos recueillis par Olivier Quarante

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