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lundi 9 février 2015

La future loi de santé à l’épreuve des quartiers

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | 

Les nouveaux textes sur la politique de la ville les ont débaptisées, on ne doit plus les appeler zones urbaines sensibles (ZUS). Le premier ministre les a qualifiées de zones d’apartheid, ce qui fait polémique. Un constat, lui, ne fait pas débat : ces territoires cumulent les mauvais indicateurs de précarité. Proportion de populations d’origine étrangère, taux de chômage, taux de pauvreté, taux de familles monoparentales sans emploi, taux de population sans aucun diplôme et taux d’illettrisme y sont nettement plus dégradés que dans les autres quartiers urbains.

L’état de santé ressenti, les taux de couverture vaccinale, les taux d’obésité chez les enfants ou la prévalence de caries dentaires non soignées y sont également moins bons qu’ailleurs sur le territoire national. Pour prendre en charge ces problèmes de santé, le déséquilibre est patent concernant la médecine générale entre les ex-ZUS et les quartiers favorisés des principales agglomérations ; il est majeur si on s’intéresse à l’offre de soins dentaires.

Telle est l’illustration de ce qu’a spontanément produit notre système de santé, en partie rééquilibré, ça et là, par l’implantation de centres de santé soutenus par les élus locaux. Ne parlons pas des différences territoriales pour les gynécologues, les ophtalmos, les psychiatres… car alors les écarts sont bien pires. Pour ces derniers, seule la psychiatrie hospitalière, par les centres médico-psychologiques (CMP), assure une prise en charge spécialisée des pathologies mentales, dans des espaces urbains où les toxicomanies influencent lourdement les tableaux cliniques.


Déficit de professionnels de santé


D’après le rapport 2013 de l’Observatoire national des zones urbaines sensibles (Onzus), les ZUS souffrent, pour la plupart, d’un déficit notable de professionnels de santé. Si les infirmiers sont globalement bien présents, certains métiers comme les ergothérapeutes, les psychomotriciens ou les audioprothésistes sont fortement sous-représentés.

C’est pourquoi la future loi de santé prévoit la constitution d’un Atlas national de la démographie. Il convient de signaler d’emblée que les densités brutes ne suffiront pas : il sera important de connaître les densités des professionnels de santé âgés de plus de 55 ans, car c’est ensuite, quand les baby-boomers partiront à la retraite, que l’effet de cisaillement démographique se fera sentir dans les quartiers socialement défavorisés (phénomène particulièrement préoccupant pour les médecins généralistes et les psychiatres hospitaliers), car souvent ils n’y trouveront pas de successeurs.

C’est dire combien le principe d’égalité dans l’offre de soins sur l’ensemble du territoire national prend un relief particulier pour l’avenir. La loi, prochainement débattue au parlement, devra nécessairement prendre en considération ces territoires, une attente renforcée par les préoccupations brusquement remises en lumière à la suite des attentats de début janvier.

La loi prévoit en effet, sous l’égide des Agences régionales de santé (ARS), la réalisation de diagnostics territoriaux partagés, futurs états des lieux des problèmes de santé prioritaires et des acteurs présents pour y répondre. Mais, pour ce faire, qui sont les véritables relais dans les quartiers ? Là est aujourd’hui l’enjeu premier de ces programmes qui devraient entrer en résonnance avec les préoccupations des habitants. Qui sont les décideurs ? Ceux qui ont véritablement le pouvoir de peser sur les dynamiques communautaires, où s’entremêlent des considérations ethniques, linguistiques, économiques… ? Qui sont ceux qui représentent effectivement les habitants et conféreront ainsi les meilleures chances de réussite aux actions mises en place ? Qui sont ceux qui peuvent peser pour diminuer les cambriolages des cabinets médicaux, le caillassage des voitures de pompiers et les incivilités à l’égard des professionnels de SOS médecins, dans un contexte où l’économie parallèle est omniprésente ? En cela, il faut bien l’avouer, nous sommes dans une quasi cécité. Travailleurs sociaux, infirmiers, médecins, s’ils connaissent les individus et les familles, sont bien en peine pour identifier les pouvoirs collectifs en œuvre dans les quartiers, et tout autant pour les mobiliser.


Faire évoluer les formation


En toile de fond de ces enjeux émerge la nécessaire évolution – non évoquée dans le projet de loi – de la formation initiale des professionnels de santé, des médecins en particulier. Une timide avancée a été obtenue en 2013 à l’initiative de Médecins du monde : durant trois ans, les doyens de facultés de médecine devront ajouter quelques heures d’enseignement sur la santé des personnes précaires, durant le deuxième cycle. Le problème demeure : il existe une méconnaissance criante des jeunes praticiens, au sortir des universités, de ce que sont les inégalités sociales de santé (ISS). Il faut absolument reconnecter le corps médical avec la prise en compte des réalités sociales, occultées durant leurs études, pour aboutir à ce que Jonathan Mann qualifiait de socio-parésie des sciences médicales…

La loi comporte en effet un volet qui renvoie les professionnels de santé à la question cruciale de leur capacité à saisir les dynamiques d’acteurs/décideurs dans les communautés, afin d’affiner les stratégies et les actions prioritaires à mener. Le texte porte une ambition étroitement associée : celle de sortir d’un certain hospitalo-centrisme – qui ne peut pas tout faire dans ses murs, et n’en a pas les moyens. Seule la psychiatrie hospitalière a eu cette intuition ancienne de l’importance du maillage territorial sans discrimination. Encore convient-il de souligner ses difficultés à recruter : un quart des postes de psychiatres des hôpitaux est occupé par des médecins non statutaires !

La future loi enjoint ainsi aux acteurs de la santé « d’aller-vers », d’entrer au contact des territoires et des populations des ex-ZUS, si proches mais à la fois si différentes et peu familières. Vaste et ambitieux programme. Concernant la rencontre avec l’« autre » et les approches communautaires, la pratique humanitaire peut être convoquée. Elle nous enseigne les vertus de la décentration : l’observation, par un regard extérieur, d’une société à laquelle on n’appartient pas, dont il faut alors identifier les codes et les usages. A cet égard, la question, puis le doute, gagnent parfois insidieusement celui qui parcourt les quartiers dits « fragiles ». Un sentiment diffus d’étrangeté. Certes nous sommes en France, mais… pas tout à fait ?

Faudra t-il pour autant mobiliser des humanitaires, de retour de terres lointaines pour y intervenir ? Bien sûr que non ! Une politique publique ne doit relever ni de la compassion ni d’une solidarité basée sur une approche caritative, mais sur un principe d’égalité fondamentale de tous les citoyens. Dès lors, la future loi devra expliciter les compétences et les moyens qu’elle mettra au service de ses ambitions, sur des territoires qu’il convient de ne plus appeler sensibles…

Pierre Micheletti est médecin, président de l’Association de gestion des centres de santé de Grenoble (Agecsa), ancien président de Médecins du monde et professeur associé à l’Institut d’études politiques de Grenoble.


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