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lundi 9 février 2015

« Il faut donner sa chance au cannabis thérapeutique »

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO |  | Propos recueillis par 

Amine Benyamina est psychiatre au département de psychiatrie et d'addictologie de l'hôpital Paul Brousse à Villejuif.
L’addictologue Amine Benyamina plaide pour plus de recherche sur les cannabinoïdes en France et une évolution de la réglementation.

Un peu plus d’un an après son autorisation de mise sur le marché, le 8 janvier 2014, le Sativex, premier médicament à base de cannabis approuvé en France, devrait être disponible en pharmacie avant l’été. Déjà autorisé dans une vingtaine de pays, ce produit fabriqué par le laboratoire britannique GW Pharmaceuticals, sera commercialisé en France par une autre firme, Almirall. Spray associant deux cannabinoïdes, il ne pourra être prescrit que dans des conditions très strictes, et uniquement chez des patients souffrant de contractures liées à une sclérose en plaques (SEP).

Parallèlement, le Sénat a examiné, en séance publique le 4 février, une proposition de loi de la sénatrice écologiste Esther Benbassa visant à permettre un usage contrôlé, y compris non thérapeutique, du cannabis. L’ouverture de la France au cannabis thérapeutique va-t-elle rester limitée à ce cadre étroit ou s’étendre à d’autres indications médicales, déjà reconnues dans certains pays ? Où en sont ces recherches ? Le point avec le professeur Amine Benyamina, psychiatre et addictologue, responsable du centre d’addictologie de l’hôpital Paul-Brousse (Villejuif), et administrateur de la Fondation Action Addictions.

Vous êtes, en France, l’un des médecins qui défendent publiquement l’usage médical du cannabis. L’arrivée du Sativex, après des années d’interdit, marque-t-elle le début d’une nouvelle ère ?

Je suis effectivement favorable à un débat sur le cannabis thérapeutique, et même plus largement à une évolution du cadre réglementaire sur ce stupéfiant. Mais aujourd’hui, il n’y a pas de volonté politique ; nombre de politiciens ont une opinion tranchée, parfois polluée par des opinions domestiques, et ils ne veulent pas entendre le discours scientifique.


Une autorisation a été obtenue pour la SEP, mais on a la sensation que cela n’ira pas plus loin. Pourtant, nous gagnerions à donner une chance à ce produit, en conduisant des essais cliniques à bonne dose, sur des populations bien ciblées, avec un effectif suffisant. L’intérêt est scientifique et médical, mais aussi potentiellement économique.

Il est dommage de condamner le cannabis sans l’avoir expérimenté, ou bien de tirer des conclusions à partir d’études qui ne respectent pas les standards de qualité, comme c’est souvent le cas. En fait, les cannabinoïdes font partie de ces molécules qui véhiculent des préjugés scientifiques et sociétaux, alors que d’autres médicaments dérivés de stupéfiants (anesthésiques à base de molécules proches de la cocaïne, antalgiques opiacés…) au fort potentiel addictogène, sont acceptés sans problème.

En dehors des effets sur les contractures d’origine neurologique, quelles sont les propriétés établies ou étudiées des cannabinoïdes ?

Mes patients me supplient de faire connaître les vertus médicales du cannabis, mais rappelons d’abord que certaines sont connues de longue date, plus ou moins empiriquement. Un document médical chinois daté de 2700 avant J.-C. mentionne cette plante dans le traitement des rhumatismes, de la goutte et du paludisme. Au XIXe siècle, les extraits de cannabis ont été très prescrits comme antalgiques, jusqu’à l’apparition de nouveaux opiacés. Ce n’est qu’au XXe siècle que ce produit a été banni de la pharmacopée – en 1953 en France –, du fait de ses effets stupéfiants.

Depuis quelques décennies, il y a un regain d’intérêt pour les cannabinoïdes, à la fois pour comprendre le mode d’action de ces molécules, et bien sûr pour les tester dans certaines situations. Certaines sont déjà validées. Aux Etats-Unis, le cannabis médical est autorisé dans 24 Etats. Deux médicaments ont été approuvés pour traiter les nausées induites par la chimiothérapie et les pertes de poids importantes lors de l’infection à VIH. Il s’agit du Marinol, qui contient du THC (tétrahydrocannabinol), et du Cesamet, qui contient un analogue synthétique du THC.

Concernant la spasticité dans la sclérose en plaques, indication qui vient d’être reconnue en France pour le Sativex, la commission de transparence de la Haute Autorité de santé considère toutefois qu’il s’agit d’un traitement d’appoint, qui n’apporte pas d’amélioration du service médical rendu [par rapport aux médicaments déjà disponibles].

Par ailleurs, plusieurs essais cliniques ont retrouvé des effets positifs dans des douleurs chroniques (dues à des cancers, des maladies neurologiques, rhumatismales…). Mais les données, qui portent souvent sur un effectif peu important de malades, avec un suivi limité dans le temps, demandent à être confirmées. Les résultats sont en revanche décevants dans les douleurs aiguës.

Des propriétés antitumorales ont été observées chez l’animal, mais restent à démontrer chez l’homme. Quelques essais sont en cours, notamment dans des tumeurs cérébrales.

Les cannabinoïdes pourraient aussi avoir une efficacité dans le traitement de certaines épilepsies, des états de stress post-traumatique… Une équipe allemande étudie même leurs effets chez des patients atteints de psychose.

Quels sont les modes d’action des cannabinoïdes, et qu’en est-il de leurs effets secondaires, et surtout du risque de dépendance redouté par les politiques et les médecins ?

Notre organisme possède ses propres cannabinoïdes. Identifié à partir des années 1990, ce système intermédiaire intervient dans de nombreux processus physiologiques ou pathologiques : l’inflammation, l’obésité, le contrôle de fonctions neurologiques…

Des récepteurs cannabinoïdes de type 1 ont été identifiés dans le cerveau et dans la moelle épinière, sur des cellules impliquées dans les voies sensorielles de la douleur. Quant aux récepteurs de type 2, ils sont surtout portés par les cellules immunitaires, et permettent de réguler leur réponse.

Outre le THC, principal responsable des effets psychotropes, le cannabis contient une centaine de cannabinoïdes, dont les effets s’exercent à plusieurs niveaux.

Les données de tolérance concernant les médicaments à base de cannabis et notamment le Sativex, retrouvent une majorité d’effets secondaires non graves, principalement des vertiges. Le document de la Haute Autorité de santé fait également état de troubles gastro-intestinaux, de fatigue et de troubles neuropsychiques (étourdissements, somnolence…). En revanche, le risque de dépendance semble faible, les effets psychoactifs du THC étant contrebalancés par la présence du cannabidiol qui en est dénué.

Quel est concrètement le bilan dans les pays qui ont autorisé le cannabis thérapeutique, et comment s’y organisent les recherches ?

Aux Etats-Unis, une augmentation des ventes de cannabis a été observée, en partie liée au tourisme induit, mais il n’y a pas de flambée des dépendances ou de la criminalité. Quant aux données sanitaires, elles devraient arriver progressivement. Dans ce pays, tout comme en Australie, qui s’est aussi ouverte à la consommation de cannabis à visée thérapeutique, les missions d’information et d’enseignement et les travaux de recherches sont sous l’égide de sociétés savantes et de fondations financées par des fonds publics et/ou privés.

En Europe, il n’y a pas d’équivalent. En France, nous n’avons pas de réel relais. L’Académie de médecine est sur une position conservatrice, notamment sous l’influence de personnalités « passionnées » sur ce sujet, qui estiment que le cannabis thérapeutique est un cheval de Troie vers une autorisation plus large, mais cela n’est pas étayé.

Les recherches sur ces substances sont-elles totalement en panne en France ?

La loi de 1970 [qui confirme le principe de prohibition des stupéfiants et encadre la prise en charge sanitaire des toxicomanes] interdit de fait de réaliser des essais cliniques. Quant aux expériences animales, par exemple sur des modèles de souris, elles sont faisables en théorie, mais difficilement réalisables en pratique. Les processus d’autorisation sont longs et contraignants, d’autant qu’il faut se procurer de la poudre de cannabis auprès de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.

Concrètement, quasiment aucun laboratoire de recherche ne travaille dans ce domaine, en dehors d’une équipe Inserm de Bordeaux, qui étudie principalement les effets du cannabis sur le cerveau, mais pas dans un objectif thérapeutique.

Certes, le risque de psychose en lien avec le cannabis est un des facteurs à prendre en compte, mais cela ne devrait pas obérer toute possibilité d’avancer sur la recherche.



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