Le trouble de l’adaptation avec anxiété (TAA), dénommé anxiété réactionnelle par certains, reste encore considéré comme un « petit trouble ». Le TAA n’est ainsi pas repéré et identifié en tant que tel d’autant plus que les patients sont peu enclins à se confier ou à consulter pour ce type de symptômes. Pourtant, le niveau d’anxiété évoqué par les patients devrait le faire considérer comme un authentique trouble anxieux avec la triade « recherche/identification/prise en charge ». Le but de cette enquête réalisée auprès de nos lecteurs médecins généralistes et psychiatres était d’en savoir plus sur le TAA en pratique quotidienne en 2014.
Une place à part dans les classifications diagnostiques depuis plus de 30 ans
Le trouble de l’adaptation (TA) est apparu en 1980 dans le DSM III et sa définition a été précisée dans le DSM IV (1994). Il s’agit d’un trouble comportant des symptômes émotionnels ou comportementaux en réaction à un ou plusieurs facteurs de stress identifiables dans les 3 mois suivant l’exposition, et d’une durée maximale de 6 mois après la fin de ce stress. Les symptômes sont cliniquement significatifs et entraînent une détresse marquée et/ou une altération significative du fonctionnement social ou professionnel. L’impact clinique et fonctionnel signe le caractère pathologique du trouble. Dans le DSM V (2013), le TA est intégré dans les « troubles en rapport avec le trauma et le stress » à côté des états de stress aigu et de l’état de stress post traumatique (ESPT). Le DSM V distingue plusieurs types de TA. Dans trois quarts des cas, il s’agit d’un TA avec anxiété (TAA) où nervosité, inquiétude, énervement, ou anxiété de séparation, sont au premier plan.
Quelles données épidémiologiques ?
Les études ayant évalué la prévalence du TAA sont récentes mais à ce jour encore trop peu nombreuses. Les résultats sont hétérogènes en fonction des populations étudiées et des méthodes d’exploration.
Une prévalence élevée et des comorbidités fréquentes
En médecine générale, la prévalence du TAA a été estimée à 3 % dans une étude espagnole (2012 [1]) et à 1 % dans l’étude française de W. Seeman et coll. (2001) qui a inclus 7 759 patients d’au moins 18 ans (2). Et, dans ce dernier travail, si l’on considère uniquement les patients consultant pour un motif d’ordre psychologique, la prévalence du TAA associé éventuellement à d’autres troubles mentaux est de 9,2 %, dont 4,5 % pour le TAA isolé (environ un cas sur deux) (2). Dans une autre étude française plus récente (2014 [3]) menée chez 3 651 patients de plus de 60 ans, la prévalence du TAA était de 3,5 % en médecine générale et de 4,8 % en psychiatrie ambulatoire, avec une comorbidité psychiatrique (surtout un trouble anxieux) dans 39 % des cas (3).
Des femmes relativement jeunes exerçant une activité professionnelle
En ce qui concerne les caractéristiques sociodémographiques des patients, les résultats sont plus homogènes (2, 4, 5) : le TAA isolé touche le plus souvent des femmes (2/3 des cas), relativement jeunes (la quarantaine) et exerçant une activité professionnelle. Les principaux événements de vie cités comme responsables du trouble sont : des difficultés dans le travail, la maladie personnelle ou celle d’un proche.
Des niveaux d’anxiété élevés
Dans la majorité des cas de TAA, les niveaux d’anxiété sont élevés et proches de ceux retrouvés dans le trouble anxieux généralisé. Dans l’étude de Y. Pupille et I. Ferrand (4) menée en médecine générale (n = 2 820), l’anxiété cotée selon le propre référentiel du médecin était « importante » pour la majorité des praticiens (56 %) et « très importante » pour 28 % d’entre eux. Dans l’étude de D. Servant et coll. (5), le score moyen total sur la HAM-A (Hamilton Anxiety Scale) était de 23,6 (versus 2,5 pour les témoins) et sur la HAD-anxiété (Hospital anxiety scale) de 11,2 (versus 3,6 chez les témoins). Rappelons qu’un score HAM-A > 15 atteste d’une anxiété majeure et qu’un HAD-anxiété à 8 rend probable le diagnostic de trouble anxieux généralisé. Les dysfonctionnements émotionnels et cognitifs sont également significatifs et voisins de ceux retrouvés dans les troubles anxieux caractérisés. Dans cette même étude (5), le score moyen d’inquiétude (QIPS) était élevé dans le groupe TAA : 55,3 (versus 36,1 dans le groupe témoin). Les profils émotionnels (EPN-31) étaient très altérés avec des émotions positives nettement réduites (53,8 versus 72,1 pour les témoins) et des émotions négatives très augmentées (45,6 versus 13,7 chez les témoins), notamment en ce qui concerne la peur ou la tristesse.
Un impact socioprofessionnel important
Le retentissement sur la vie du patient est marqué. Plus de 50 % des patients ayant un TAA sont « gênés » ou « extrêmement gênés » par leurs symptômes avec des répercussions à la fois sur leur vie professionnelle, sociale et familiale (3).
Un facteur de risque d’affections psychiatriques plus graves
Le TAA représente probablement un facteur de risque de dépression. Si le stresseur persiste, et en l’absence de prise en charge, des troubles anxieux plus chroniques peuvent se développer. Des études ont montré que si le pronostic du TAA était favorable pour la grande majorité des sujets, plus d’un patient sur 5 évoluaient vers une dépression majeure ou un problème d’alcoolisme (6,7). Ces résultats sont toutefois à confirmer.
Zoom sur la pratique quotidienne
Au total, 330 praticiens dont 75 psychiatres et 255 médecins généralistes ont participé à l’enquête du JIM sur les TAA. En premier lieu, les résultats montrent que ces médecins sont souvent confrontés au TAA : deux tiers des médecins généralistes et près de 8 psychiatres sur 10 ont « au moins un patient par semaine » qui présente un TAA (dont 44 % « plusieurs fois par semaine » pour les MG et 57 % pour les psychiatres).
A quelle fréquence rencontrez-vous ce type de troubles ?
Réponses MG
Réponses Psy
Le TAA touche majoritairement des femmes (61 % des cas pour les MG et 55 % pour les psychiatres) et des sujets âgés de 30 à 55 ans (65 % des cas pour les MG et 68 % pour le psychiatres). Et, comme cela est rapporté dans la littérature internationale, les évènements stressants déclencheurs les plus fréquemment cités sont d’ordre professionnel, familial ou personnel. Par ailleurs, l’intensité des symptômes anxieux est le plus souvent « importante » (62 % des cas pour les MG et 70 % des cas pour les psychiatres), voire « très importante » (6 % des cas pour les deux catégories de praticiens)
L’intensité des symptômes anxieux est le plus souvent :
Réponses MG
Réponses Psy
La quasi-totalité des praticiens (98 %) qu’ils soient MG ou psychiatres dispensent « des mesures d’écoute, de soutien et conseil psychologiques » et plus des deux-tiers (71 % des MG et 81 % des psychiatres) préconisent des séances de relaxation ou de gestion du stress. Les médecins généralistes ont plus souvent recours à l’homéopathie (32 %) et/ou à l’acupuncture (19 %) que les psychiatres (respectivement 14 % et 10 %). Et, lorsqu’ils estiment un traitement médicamenteux nécessaire, près d’un tiers des praticiens prescrivent en première intention une benzodiazépine/composé Z ou un anxiolytique non benzodiazépine. Les MG ordonnent toutefois plus volontiers un anxiolytique non benzodiazépine qu’une benzodiazépine/composé Z comparativement aux psychiatres (44 % et 32 % versus 35 % et 34 % respectivement). Ils font aussi plus souvent appel à la phytothérapie (24 % versus 19 %). Ces prises en charge légèrement différentes pourraient s’expliquer par le profil différent des patients.
Quelle prise en charge préconiser ?
Du conseil et soutien psychologique …
Comme le rapportent les médecins ayant participé à l’enquête, la prise en charge d’un TAA nécessite en premier lieu des mesures d’écoute et de soutien psychologique faisant notamment appel à différentes techniques comme « la décentration », la recherche de biais cognitifs et d’erreurs d’interprétation. Différentes techniques peuvent aider le patient à mieux gérer les difficultés qu’il rencontre : relaxation, techniques de gestion du stress et de l’anxiété, exercice physique régulier, méditation… Dans certains cas, une thérapie de soutien peut être utile. Les thérapies cognitivo-comportementales de gestion du stress ont fait leur preuve dans ce domaine et sont recommandées avec une analyse fonctionnelle du stress et des dimensions anxieuses.
...au traitement anxiolytique
Un traitement médicamenteux symptomatique à visée anxiolytique (non benzodiazépine ou benzodiazépines/composé Z…) peut aussi être indiqué. Il faudra dans ce cas bien évaluer les risques de dépendance et d’effets secondaires. Les risques de sédation, voire d’amnésie antérograde, doivent être particulièrement pris en compte chez ces patients jeunes en activité professionnelle. De plus, le traitement médicamenteux, s’il est envisagé, doit l’être à titre transitoire pendant une courte durée.
A ce jour, peu d’études thérapeutiques comparatives ont été réalisées dans le TAA. Deux d’entre elles ont toutefois montré l’intérêt, dans cette indication, de l’étifoxine, molécule anxiolytique non benzodiazépine ayant un faible taux d’effets indésirables. Un premier travail mené chez 191 patients suivis en médecine générale a comparé l’étifoxine (50 mg x 3/jour) et le lorazepam (0,5 à 0,5-1 mg) dans le TAA (8). Les deux produits ont une activité anxiolytique équivalente à J28. Cependant, les répondeurs (baisse du score HAM > 50 %) étaient plus nombreux dans le groupe étifoxine que sous lorazepam (p = 0,03), ainsi que le taux d’effet anxiolytique important sans effet secondaire (p = 0,04) (8).
Le 2e travail est un essai multicentrique comparatif (étifoxine/buspirone) conduit chez 170 patients ayant un TAA (9). Les deux produits étaient efficaces et bien tolérés. A noter toutefois que l’amélioration clinique globale était significativement en faveur de l’étifoxine (150 à 200 mg d’étifoxine) comparativement à la buspirone (15 à 20 mg de buspirone), dès le 7e jour de traitement (p < 0,001) ainsi qu’à J14 (p = 0,02) et J28 (p = 0,02). L’index thérapeutique évaluant le rapport bénéfice/risque du traitement était également meilleur avec l’étifoxine (p = 0,05).
Pour un meilleur pronostic
Il n’existe actuellement pas de recommandations officielles pour la prise en charge du TAA. Les publications s’accordent toutefois sur l’importance des conseils et du soutien psychologique (gestion du stress notamment) et d’une prescription médicamenteuse à bon escient. Un traitement adapté permettra d’obtenir plus rapidement une évolution favorable, tout en limitant les risques de survenue d’affections psychiques plus sévères (troubles anxieux, alcoolisme, troubles de l’humeur…).
Clémentine Faivre
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