Fin de vie : les généralistes belges et suisses en première ligne
Directives anticipées, suspension de traitement, soins palliatifs, suicide assisté, euthanasie… Autant de références à la fin de vie, sujet qui anime régulièrement le débat public. Et qui revient à nouveau sur le devant de la scène. Au terme de leur mission, les députés Jean Leonetti (UMP) et Alain Claeys (PS) doivent faire très prochainement des propositions qui pourraient passer par un aménagement de la législation. En la matière, nos voisins belges et suisses font figure d’exemples… ou de repoussoirs. On sait que ces pays sont allés plus loin que la France. Mais on ignore souvent que le généraliste y joue les premiers rôles.
Objet de débats intenses et récurrents en France, la fin de vie amène souvent à regarder les innovations audacieuses réalisées à l’étranger. Au risque, d’ailleurs, de passer sous silence le rôle joué par les généralistes dans ces différents pays. À commencer par la question des soins palliatifs, un droit auquel près de 80 % des personnes n’accèdent pas chez nous. Constat accablant, en France à tout le moins, car certains pays voisins ont profondément repensé l’accompagnement des dernières étapes de la vie.
Régulièrement citées en exemple, les législations belge et suisse vont plus loin que la loi française en la matière, la première autorisant l’euthanasie depuis 2002 – et l’a étendu aux mineurs, en février dernier – tandis que la seconde a progressivement reconnu l’assistance au suicide. Mais elles s’appuient aussi sur des réseaux de soins palliatifs structurés, où les modalités de rémunération du médecin lui permettent d’être pleinement disponible auprès de son patient. Ainsi, le praticien suisse est payé au temps consacré auprès du malade tandis que la loi belge prévoit des forfaits voire des dispenses de frais pour les patients. Toutes deux ont en commun de placer les généralistes au cœur de leur dispositif.
En Belgique, « on n’est pas dans la légalisation, mais dans la dépénalisation »
Vu de l’Hexagone, ces deux systèmes sont parfois suspectés d’ouvrir la voie à d’innombrables dérives. Même si ces législations encadrent strictement les pratiques en question. Professeur de médecine générale belge, Didier Giet (photo) souligne qu’« assurer une euthanasie reste un crime sauf si c’est assuré par un médecin qui a respecté une série de conditions très précisément édictées dans la loi. On n’est pas dans la légalisation, on est dans la dépénalisation. »
De la même façon, le code pénal suisse interdit, par principe, l’aide au suicide sauf si elle est accordée « sans motif égoïste ». En d’autres termes, elle doit résulter d’un « motif honorable ». Au-delà de ces principes, le gouvernement fédéral suisse a décidé, en 2011, de ne pas réglementer l’assistance au suicide. C’est donc au niveau cantonal – échelon compétent pour l’organisation du système de santé – que la question est abordée. En 2013, est entrée en vigueur la loi du canton de Vaud sur la santé publique qui établit les règles pour l’assistance au suicide dans les établissements sanitaires. Aussi, seuls deux cantons disposent d’organisations d’aide au suicide telles qu’Exit ou Dignitas et, comme le pointait le rapport Sicard, elles « ont quitté d’autres cantons qui ne leur étaient pas favorables ».
De la formulation de la demande du patient au document attestant la réalisation de l’acte, la loi belge encadre l’euthanasie de multiples conditions. Et distingue deux hypothèses. Dans une « déclaration anticipée de volonté », chaque citoyen, capable d’exprimer sa volonté, peut demander explicitement que soit pratiquée l’euthanasie. Et la déclaration ne sera exécutée que si le patient venait à être « atteint d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable, qu’il était inconscient et que son état est jugé irréversible ».
Pour Didier Giet, « culturellement, depuis dix ans, les langues se délient, on informe nos patients et ils sont de plus en plus nombreux à remplir le formulaire ». Une euthanasie peut aussi être pratiquée à la demande spécifique d’un patient qui exprime sa volonté actuelle de mourir. Il doit alors être dans une situation médicale sans issue et sa souffrance constante, insupportable et inapaisable. Mais, selon le professeur de l’université de Liège, la loi ne laisse pas de place à la précipitation. Même si la mort est à courte échéance, « ça n’est jamais instantané car il faut toujours informer le patient de la procédure à suivre, lui expliquer quels sont les soins palliatifs », raconte-t-il, et demander l’avis d’un second médecin.
En Suisse, l’idée de discernement du patient
Le dispositif suisse repose lui aussi sur des demandes écrites expresses et des directives anticipées mais, plus encore, sur l’idée de discernement. « Pour pouvoir demander l’assistance au suicide, il faut jouir de son discernement et la question de sa définition est très difficile », rapporte Daniel Widmer (photo), généraliste de Lausanne. Et de préciser qu’à côté des articles du code civil, « il y a une sorte de jurisprudence, il y a des éthiciens qui se sont penchés sur le discernement ». Indépendant de l’âge de la majorité, il n’est pas déterminé par des tests, peut fluctuer au cours du temps et présente un caractère relatif. L’essentiel étant que la personne soit consciente du caractère mortel du geste au moment où elle l’effectue. « Et puis il y a d’autres choses qui ont force de loi, ce sont les directives anticipées », ajoute ce professeur de médecine générale, « là on n’est plus tellement dans l’aide au suicide mais plutôt dans l’abstention thérapeutique. » En signant ces directives, le praticien lausannois explique que « le patient décide ainsi qu’on épuise les possibilités médicales pour le maintenir en vie absolument ou, au contraire, que les traitements médicaux servent avant tout à alléger ses souffrances ».
L’importance du dialogue
En somme, les systèmes belge et suisse se distinguent par le degré d’intervention finale du médecin : le premier procède à l’injection, le second se contente d’aider à l’ingestion de la potion létale. Avec un point commun essentiel : le généraliste est en première ligne à toutes les étapes. Et, d’abord, pour engager le dialogue. Avant la fin de vie, il s’agit de faire connaître l’existence et l’utilité des directives anticipées. Puis, lorsque la question de l’euthanasie ou de l’assistance au suicide se pose, de renseigner sur les alternatives thérapeutiques et les soins palliatifs.
Pour Daniel Widmer, cet aspect de sa pratique tient en un mot : anticiper. « C’est faire connaître l’étendue des possibilités quand ça ne va pas, explique-t-il, c’est renseigner le patient – ce qui me paraît le plus important – sur les soins palliatifs parce qu’on a des réseaux extrêmement bons en Suisse. » Au-delà, il s’agit de susciter un débat avec le patient, entre le patient et son entourage.
Pour Daniel Widmer, « ça fait partie de notre boulot ». Il raconte ainsi le cas d’une patiente qui souhaitait s’adresser à Exit. « Mais elle le faisait un peu en ayant l’air de dire puisque mes enfants me laissent tomber, tant qu’à faire, je préfère me suicider. Ses enfants se sont alors massivement mobilisés, ont discuté et cette femme est finalement allée en soins palliatifs, sans faire appel à Exit ».
Les médecins belges sont eux aussi tenus d’expliquer les différentes possibilités thérapeutiques dont leurs patients peuvent bénéficier. De ces discussions, Didier Giet remarque qu’il ressort, pour le patient, « la sérénité de savoir que si ça ne va pas, l’euthanasie sera là ». Il a d’ailleurs constaté que nombreux sont ceux qui rédigent une demande mais ne souhaitent pas qu’elle soit exécutée sur le champ. « Très fréquemment, les gens disent qu’ils ont été entendus et savent que, si à un moment donné ils lèvent la main, ils seront entendus », analyse le professeur belge.
Chez nos deux voisins, le médecin n’est pas obligé d’accéder à la demande du patient. En ce sens, le site internet belge des services publics présente la loi comme n’ouvrant qu’un droit à la demande d’euthanasie et non à l’euthanasie en tant que telle. Un droit pour les patients qui n’est pas, pour autant, une obligation pour les médecins. Même si la majorité des demandes émane de sa patientèle habituelle, Didier Giet confie qu’il lui « est arrivé de venir en aide à un confrère qui ne voulait pas assurer d’euthanasie. Et il y a d’ailleurs des groupes de médecins qui indiquent qu’ils assureront l’euthanasie pour venir en aide aux patients ». La législation suisse accorde, elle aussi, « une marge de décision au médecin » comme l’appelle Daniel Widmer, « il n’y a pas d’obligation, pour le médecin de faire la prescription de la potion létale ».
En pratique, c’est le généraliste belge et lui seul qui fait l’ordonnance du produit létal puis se rend en pharmacie. Et près de la moitié des euthanasies ont lieu au domicile des patients. Didier Giet estime pour sa part réaliser une à deux euthanasies chaque année.
« Un acte pas banal » à l’issue duquel il dit éprouver « à chaque fois le sentiment du devoir accompli ». « Je ne le fais pas de gaîté de cœur », tempère-t-il, j’entends l’acte comme le dernier service rendu à un patient. » Mais, « je comprends les médecins qui ne l’assurent pas », ajoute-il.
En Suisse, l’aide au suicide peut avoir lieu au domicile du patient, à l’hôpital ou dans un local appartenant à l’organisation qui assiste. Chargé de certifier le discernement et la maladie du patient, le médecin peut toutefois refuser de rédiger une attestation s’il considère que les conditions ne sont pas réunies. Libre ensuite au patient de se tourner alors vers un autre praticien. Autre tâche relevant de la compétence du généraliste : la prescription de la potion létale. Là encore, il n’est pas tenu de rédiger une telle ordonnance. Cela revient alors au médecin d’Exit. « Moi, j’estime que ça n’est pas mon rôle, je ne prescris pas volontiers la potion létale, c’est ma philosophie », se défend Daniel Widmer. À ses yeux, « Exit demande au généraliste de prescrire la potion par respect pour lui, pour que, symboliquement peut-être, il soit en charge de son patient jusqu’à la fin ». Et, quel que soit le prescripteur, c’est l’un des bénévoles de l’organisation qui va chercher la potion en officine.
Pas de dogmatisme
De même, Exit demande au généraliste s’il veut assister au décès du patient. Et Daniel Widmer ne participe pas davantage à ces décès qu’il qualifie de « très traumatisants », alors même qu’il assiste à ceux, naturels, de ses patients à leur domicile. « Je trouve ça (les décès assistés par Exit) très pénible, je l’ai fait une fois et je trouve ça très traumatisant car ce n’est pas l’agonie naturelle de quelqu’un (...). Moi, je ne me sens pas du tout à l’aise avec ça, mais c’est un point de vue personnel ». Comme il le fait remarquer, « le législateur est respectueux de la philosophie du médecin ». Qui, dans son cas, affirme ne pas être « un dogmatique, je fais ça au cas par cas ».
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