INTERVIEW
Catherine Sultan, directrice de la protection judiciaire de la jeunesse, explique pourquoi la réforme de l’ordonnance de 1945 est cruciale.
La droite prépare déjà ses banderoles et ses slogans. La réforme de la justice des mineurs devrait être «le» gros dossier justice de l’année. Elle sera débattue au Parlement au premier semestre 2015, si on en croit le ministère. «Ça risque d’être encore pire que pour la réforme pénale»,confiait récemment Christiane Taubira à un conseiller. A peine nommée au ministère de la Justice, la ministre se faisait en effet déjà étriller par la droite pour son angélisme supposé face à la délinquance des enfants. Trop souvent instrumentalisé, le sujet vaut pourtant plus qu’un débat dogmatique. Pendant plus de vingt ans, Catherine Sultan a été une juge des enfants engagée. Elle a été nommée à la tête de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) voilà un an par la garde des Sceaux. A ce poste, elle est chargée de préparer la refonte de l’ordonnance de 1945, qu’elle présente à Libération. Et en profite pour rappeler que deux tiers des mineurs délinquants ne récidivent pas «dans les six ans qui suivent» et que les enfants de moins de 13 ans ne sont «que 4%» à commettre des délits.
A quoi ressemble-t-elle, la délinquance des mineurs d’aujourd’hui ? A-t-elle explosé ? Les enfants sont-ils de plus en plus durs, de plus en plus jeunes ?
La part des jeunes dans la délinquance générale est stable depuis des années : les mineurs représentent 18% des personnes interpellées par la police ou la gendarmerie, alors qu’ils composent le quart de la population française. Les crimes commis par des jeunes restent heureusement exceptionnels. Et les âges des mineurs délinquants sont stables depuis 1989 : la majorité des mineurs délinquants ont entre 15 et 17 ans. Les moins de 13 ans ne représentent que 4% des auteurs de délits. Bref, pas besoin de tenir un discours alarmiste pour s’attaquer sérieusement au problème. Ce qui a changé, c’est que la société a beaucoup d’attentes envers la justice. Qui y répond, d’ailleurs : le taux de réponse pénale aux actes de délinquance des mineurs est de 93,5%. Les tribunaux pour enfants ne sont pas laxistes : en 2012, 61% des peines prononcées comportaient de l’emprisonnement, ferme ou avec sursis, contre 52% en 2010. La société a énormément changé depuis 1945, la délinquance des jeunes a évolué avec elle - les ados violents ne viennent pas de nulle part. Mais ce qui reste intemporel, c’est que la société a toujours besoin de ces enfants, même les plus difficiles. Comme le dit l’ordonnance de 1945, «la France n’est pas assez riche d’enfants pour qu’elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains».
Christiane Taubira veut une refonte globale de l’ordonnance de 1945, qui fonde la justice des mineurs. Pourquoi ?
Les principes de ce texte restent tout à fait contemporains : une justice spécialisée pour les mineurs, qui privilégie la réponse éducative à la répression. La preuve, ils sont repris par les conventions internationales sur les droits de l’enfant. Mais l’ordonnance a subi une trentaine de modifications depuis 1945. Le texte est devenu incohérent, peu lisible. Or une justice des mineurs se doit justement d’être pédagogique : elle doit transmettre la loi, donner des normes claires aux mineurs. Il faut adapter ce texte à l’évolution de la société.
L’un des principaux reproches fait à la justice des mineurs, c’est sa lenteur. Le projet de réforme va-t-il accélérer son tempo ?
C’est vrai, le jeune doit être confronté plus rapidement à la justice. Il s’écoule aujourd’hui en moyenne 17,8 mois entre les faits et le jugement. Le projet sur lequel nous travaillons instaure la «césure de la procédure» comme un principe de la justice des mineurs. Avec cette césure, la réponse judiciaire se fera en deux temps. Les magistrats devront d’abord statuer rapidement sur la culpabilité du mineur - disons dans un délai de dix jours à deux mois. Les faits qu’ils commettent sont assez simples et l’enquête policière est souvent suffisante pour étayer leur culpabilité. Cette rapidité est importante : une limite claire doit être marquée face au jeune délinquant et la victime ne doit pas attendre des années pour obtenir réparation. Mais la réponse de la justice ne s’arrêtera pas là. Au contraire, c’est ici que tout commence. Une fois cette responsabilité actée, il faut que le magistrat puisse analyser le parcours de l’auteur, comprendre les difficultés parfois profondes qui l’ont amené à commettre un acte délictueux et recueillir des éléments pour individualiser le suivi du jeune. Cette phase-là durerait de six mois à un an. Un temps pendant lequel le jeune fera - ou non - ses preuves. La sanction sera alors adaptée à ses progrès : mesure éducative ou peine, selon sa capacité à s’amender. Plutôt que céder au dogme de la réponse rapide, nous recherchons une réponse efficace, c’est-à-dire une réponse qui laisse des traces.
Le tribunal correctionnel pour mineurs (TCM), instauré par Nicolas Sarkozy, sera-t-il supprimé ?
La ministre s’y est engagée. Le TCM est une émanation du droit des majeurs. Il faut au contraire renforcer la spécialisation de la justice des mineurs, ce qui passe par la suppression de ces tribunaux. Ils alourdissent la procédure, hachent le parcours du jeune, jugé par des magistrats qui ne le connaissent pas. Par ailleurs, contrairement à ce que cherchait le législateur d’alors, les TCM n’ont pas prononcé de peines plus lourdes à l’encontre des mineurs que celles que prononçaient les juges des enfants. Sur le nombre de condamnations prononcées par les TCM, 68% représentent des peines d’emprisonnement ferme. Or, avant la mise en place de ces tribunaux, le taux d’emprisonnement ferme contre les mineurs relevant des critères légaux de compétence du TCM était supérieur : 70,8% en 2009 et 75,7% en 2010. Ce qui prouve bien que le cliché du juge des enfants «laxiste» est un mythe.
En France, il n’existe pas d’âge minimal de responsabilité pénale, contrairement à ce que réclament les traités internationaux. Allez-vous en fixer un ?
La question n’est pas encore tranchée. La France présente déjà de solides garanties de protection : un enfant de moins de 13 ans ne peut pas être condamné à une peine. On ne peut lui imposer qu’une mesure éducative. De plus, pour qu’un mineur soit condamné, il faut qu’un magistrat estime qu’il est capable de discernement. Faut-il alors fixer un âge en dessous duquel un enfant n’aurait aucune responsabilité pénale et ne pourrait passer devant un juge ? Cette question est toujours à l’étude.
Le projet de réforme va-t-il étendre les principes de la justice des mineurs aux jeunes de 18 à 21 ans ?
C’est un sujet important : ces très jeunes majeurs traversent un passage particulier, d’autant plus qu’aujourd’hui, on accède à l’autonomie beaucoup plus tard. Le système allemand, dont on pourrait s’inspirer, prévoit que toutes les juridictions pour majeurs peuvent appliquer des dispositions prévues aux mineurs si elles l’estiment utiles pour les jeunes adultes. Mais cette question relève de la justice des majeurs, et ne sera donc pas abordée dans la refonte de l’ordonnance de 1945.
La majorité des mineurs qui ont affaire à la justice ne récidivent pas. Que prévoit la réforme pour les autres ?
65% des mineurs ayant eu un premier contact avec l’institution judiciaire pour une infraction ne réitèrent pas dans les six années qui suivent. Pour eux, une réponse ponctuelle est suffisante, car leur acte relève de l’accident de parcours et leur entourage est suffisamment solide pour réagir. C’est pour ça qu’il est important de se concentrer sur les parcours les plus complexes. Je vais transmettre, dans quelques jours, une note d’orientation à tous les agents de la protection judiciaire de la jeunesse : nous devons individualiser nos réponses. Ces dernières années, celles-ci étaient davantage liées à la nature des faits qu’à la personnalité de l’auteur. L’accent était mis sur une réponse progressive : à chaque récidive, une peine plus forte. C’était typiquement le cas des peines planchers [abrogées cet été, ndlr]. Or ce mécanisme est contre-productif pour un adolescent. L’automatisme crée de l’exclusion. Bien sûr qu’il faut réagir aux rechutes, aux récidives, mais pas fermer les portes. Mieux vaut jouer avec tout le panel de réponses qui existent au sein de la protection judiciaire de la jeunesse. On se dirige vers la création d’une «mesure éducative unique» qui accompagnerait tout le parcours du jeune, son «temps d’épreuve», et qui s’adapterait en fonction de la progression de celui-ci : un temps en placement en milieu ouvert ou à nouveau en centre fermé s’il rechute.
Cette logique ressemble un peu à la logique de la probation instaurée par la réforme pénale votée cet été…
Longtemps, la justice des enfants a inspiré celle des adultes : le milieu ouvert, les peines dans la communauté, évolutives, ont été inventées auprès des mineurs. Ces dix dernières années, la tendance a été, à l’inverse, de prendre modèle sur la justice des majeurs pour les jeunes. Aujourd’hui, on revient à la tendance précédente.
Le projet de texte va-t-il encourager les mesures de justice réparatrice, qui encourage l’auteur à rencontrer la victime ?
La mesure de réparation est utilisée depuis longtemps auprès des mineurs : passer cinq jours chez Emmaüs ou aux urgences, faire un stage de citoyenneté centré sur le respect de l’autre, en cas de heurts entre communautés, ou sur les rapports entre garçons et filles… Mais nous voudrions également développer les réparations directes envers la victime. La justice des mineurs permet souvent cette rencontre informelle entre l’auteur et sa victime dans le cabinet du juge des enfants. Ce qui permet souvent de faire évoluer le délinquant et d’apaiser la victime. Ce sont des méthodes très répandues au Canada et dans les pays anglo-saxons.
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