« Au moment de l'affaire Cahuzac, Hervé Morin s'est permis de dire que l'ancien ministre du budget était ‘un schizophrène'. Non, c'est seulement un mec malhonnête ! » Philippe Guerard, président de l'association Advocacy qui représente les usagers des services de santé mentale, tient à mettre les choses au clair. Il a trop souffert de la stigmatisation pour accepter ce genre de comparaison.
Assis sur un banc de l'hôpital Sainte-Anne pendant que les adhérents de son association pique-niquent, il attend le départ de la première « Mad Pride » française. Comprenez « Fierté des fous ». Cette marche, sur le modèle de ce qui se pratique déjà à l'étranger, de l'Australie aux États-Unis, a pour but de « démonter les a priori des gens sur les maladies mentales ».
Avec ce nom, le défilé s'inscrit directement dans la lignée de la Gay Pride. « J'avais vingt ans dans les années soixante, je me rappelle du statut des homosexuels à l'époque. Ils ont dû se battre pour leurs droits », assure Claude Deutsch, l'un des bénévoles de l'association qui avait participé à la Mad Pride de Bruxelles en 2011. À côté de lui, sur le parking qui fait face au pavillon Magnan, des dizaines de personnes se préparent à défiler.
Masques sur la tête, maquillage bariolé sur le visage, poncho arc-en-ciel sur le dos, les manifestants s'apprêtent à marcher vers l'Hôtel de ville. Ils vont signer une charte de la dignité en santé mentale en présence de Bernard Jomier, adjoint à la mairie de Paris en charge des questions de santé.
Une quinquagénaire s'arrête à côté de la statue du cavalier romain qui trône devant le parking, elle s'interroge sur la curieuse troupe. Anne vient d'être admise à l'hôpital. « C'est formidable ce qu'ils font, mais je n'oserais pas », avoue-t-elle dans un sourire tout en retenue. Elle n'a pas la force d'assumer sa maladie. Sur le côté, elle observe presque avec envie tous ces malades qui osent défiler contre les préjugés. « Merde, ils ont droit à la considération eux aussi », finit-elle par lâcher avant de disparaître dans les allées bordées d'arbres du centre hospitalier.
En sens inverse, le cortège passe sous un grand porche pour s'engouffrer dans la rue Cabanis. Un groupe de danses et de percussions brésiliennes imprime une ambiance carnaval de Rio, de quoi ravir les passants et motiver les troupes. Plusieurs associations participent à la manifestation. Daniel de Saint-Riquet représente « Vie libre », un mouvement d'entraide pour anciens alcooliques. « Pour les personnes qui ont des problèmes avec l'alcool, il y a beaucoup de stigmatisation aussi. Avant d'être des malades, nous sommes tous des êtres humains », explique-t-il sous sa moustache grisonnante.
AMBIANCE FESTIVE
Des bulles de savon volent un peu partout au milieu du joyeux défilé. L'ambiance est à la fête. Certains ont fait de la route pour être présents dans la manifestation parisienne. Alain Levisage fait partie du Groupe d'Entraide Mutuelle (GEM) de Locminé, dans le Morbihan. Les GEM ont été mis en place en 2005. Ils permettent à des personnes handicapées de se responsabiliser en organisant des projets. « On fait des ateliers, on a pas mal de petits voyages aussi. Les GEM nous permettent d'avoir une porte de sortie quand on quitte l'hôpital psychiatrique », explique Alain, casquette vissée sur la tête alors que le soleil commence à percer les nuages.
Les Parisiens sortent au balcon pour regarder le cortège passer. Pas loin, deux autres chars attendent les manifestants. « C'est dommage que j'aie des trucs à faire, sinon j'aurais été avec eux »,sourit Youcef Ramal, posté devant le bistrot du coin. Les passants prennent les tracts, esquissent quelques pas de danse au rythme des percussions brésiliennes. Le soleil commence à chauffer et l'ambiance se réchauffe. Des jeunes déguisés en clowns claquent des bises à tout-va aux passants.
Philippe se tient au milieu du cortège, une perruque bleue sur la tête. Il est venu avec son mari, infirmier en psychiatrie. « Quand les gens disent qu'ils sont à Sainte-Anne, il y a directement un jugement négatif », regrette-t-il. Arrivés sur l'île de la Cité, tous les touristes s'arrêtent et dégainent leurs smartphones. Assis sur le bord de la camionnette en avant de cortège, Philippe Guerard sourit. Pour lui, ne plus être enfermé, se montrer aux yeux de tous, c'est déjà une victoire. « On est là pour dire qu'on existe, on nous cache, mais on existe ! » À voir les sourires des touristes et des Parisiens cette après-midi, aucun doute, ils existent.
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