Un an après la publication de la cinquième édition du DSM-5 par l'Association américaine de psychiatrie, ce manuel, qui classe les troubles mentaux, continue de susciter des controverses. Aux Etats-Unis, les instituts américain pour la santé mentale (National Institute of Mental Health) se sont ainsi désolidarisés du DSM-5. Cet ouvrage a été publié pour la première fois en 1952, avec une liste de moins de cent pathologies. Depuis 1980, il a évolué vers une approche de plus en plus catégorielle des maladies mentales, pour devenir un outil incontournable dans le monde de la santé mentale (supplément « Science & Médecine » du 15 mai 2013). Cette classification est utilisée pour les recherches cliniques, les études épidémiologiques ou l’évaluation des molécules (antidépresseurs, anxiolytiques et autres neuroleptiques). David Kupfer, directeur du comité d’élaboration du DSM-5, professeur de psychiatrie à l’université de Pittsburgh, président du conseil scientifique de la fondation FondaMental, revient sur cet outil diagnostique, qui sera traduitprochainement en français.
Le « DSM-5 » n’encourage-t-il pas une inflation de pathologies ?
D’abord, il n’y a pas 350 pathologies, comme je l'ai souvent lu, mais 157, contre 297 en 1994, classées par grandes catégories. Qu'il s'agisse de l'autisme, des troubles de l'attention, de la dépression, de la schizophrénie ou des troubles bipolaires, il est très important de détecter les symptômes de ces maladies le plus tôt possible. Or, bien souvent, ce n’est pas le cas. Par exemple, nous avons étudié un grand nombre de personnes entre 15 et 25 ans présentant des troubles bipolaires. Nous nous sommes aperçus que ces personnes attendaient en moyenne sept à dix ans avant d'avoir un bon diagnostic aux Etats-Unis, dix ans en France. C'est beaucoup trop long, et cela engendre des traitements inadaptés, voire pas de traitement du tout.
Avec le DSM-5, nous mettons en avant ce que nous pensons être les signes cliniques des troubles bipolaires en se concentrant sur la dépression et les accès maniaques. Avant cela, nous cherchons à identifier les premiers changements d'humeur ou de niveau d'activité et d’énergie, qui sont, selon le DSM-5, les premiers signes de la maladie. La détection des maladies mentales doit être précoce. Car, comme pour toutes les maladies chroniques, on a alors plus de chances d'avoir un traitement adapté. Pour traiter les maladies mentales, il faut une prise en charge globale : traitement médicamenteux, psychothérapie, hygiène de vie...
L'une des principales critiques concernant le « DSM-5 » ciblait les liens d'intérêt avec l'industrie pharmaceutique, visant à orienter les classifications de pathologies. Que répondez-vous ?
Chaque membre du conseil qui a travaillé sur la rédaction des critères diagnostiques du DSM-5 a accepté d’abandonner toute relation avec l'industrie pharmaceutique pendant les sept ans de travaux de préparation. Il y avait un seuil maximum de 7 500 euros (l’équivalent de trois conférences environ) de liens avec l'industrie à ne pas dépasser.
Les Instituts américains de la santé mentale (National Institute for Mental Health, NIMH) se sont désolidarisés du « DSM-5 », mentionnant sa faiblesse sur le plan scientifique. Comment analysez-vous cette critique ?
Plusieurs personnes des NIMH ont changé d'avis. Par ailleurs, une douzaine de personnes travaillant pour les NIMH étaient des membres importants du groupe de travail du DSM-5. En tout, il y avait 160 groupes de travail pour le DSM-5, soit 400 conseillers, dont 20 % d’Européens.
Le professeur Allen Frances, qui a supervisé le « DSM-IV », s'élève contre le risque de surdiagnostic. En France, le combat est porté par un collectif intitulé « Stop DSM », constitué de professionnels proches du milieu psychanalytique. Qu'en pensez-vous ?
Il y a des mouvements contre le DSM-5 partout. Pourtant, c'est un moyen pour les soignants de parler le même langage, de disposer des mêmes outils pour faire les diagnostics les plus fins. Je désapprouve le terme de « bible »: ce n'est pas une bible, c'est un outil pour accompagner le changement. Dans tous les cas, ce n'est pas le mot de la fin. D'ailleurs, le fait d'avoir changé « V » en « 5 » n'est pas anodin. Si nous parlons de « 5.0 », cela devient attractif pour la jeune génération. Il y a eu vingt ans entre leDSM-IV et celui-ci, je ne veux pas attendre vingt ans avant le « DSM-6 ». La version 5 est faite pour évoluer avec les découvertes scientifiques et donner naissance aux versions 5.1, 5.2 etc...
De plus, la classification internationale des maladies, sur laquelle travaille l'Organisation mondiale de la santé, qui devrait sortir en 2016, converge fortement avec le DSM-5. Ce n'est jamais arrivé avant. Cela permettra de se mettre d'accord sur des critères et de parler un langage commun et international, d'avoir une classification similaire. Pour aider à la détection précoce de ces troubles, il est indispensable, en l’absence de marqueurs biologiques, de disposer d’un outil clinique qui aide à mieux définir les pathologies. C’est l’objet du DSM-5.
Les NIMH préconisent de nouveaux programmes de recherche afin de découvrir les anomalies cérébrales qui sous-tendent les maladies mentales. Est-ce selon vous à privilégier ?
Les recherches actuelles en psychiatrie ont pour but de chercher des marqueurs objectifs des maladies en mobilisant toutes les disciplines et tous les outils à notre disposition, tels que les tests cognitifs, l'imagerie cérébrale, la biologie, la génétique, qui permettront de préciser diagnostics et pronostics, de mieux comprendre le mécanisme de ces maladies et de découvrir de nouvelles voies thérapeutiques.
Il y a eu de nombreux débats sur certains sujets, comme l'addiction aux jeux. Qu’en pensez-vous ?
L’addiction aux jeux sur Internet figure parmi les sujets à suivre. Les consultations pour ce type de troubles se multiplient. Mais il n'existe pour l'instant pas d'étude scientifique montrant qu’ils devraient être considérés comme un désordre mental au sens du DSM. Autre sujet, le tableau atténué de schizophrénie. L'idée est de repérer la phase prodromique de la schizophrénie chez les jeunes adultes, moment où la personne commence à se désintéresser de ses activités habituelles, à avoir des difficultés relationnelles, à s'isoler. Le but est d'identifier les jeunes adultes avant que la schizophrénie ne survienne, pour que des stratégies préventives puissent être mises en place afin d’éviter la première crise psychotique. Mais nous devons encore préciser ces critères, car les jeunes présentant ces caractéristiques ne deviennent pas tous schizophrènes.
- Pascale Santi
Journaliste au MondeSuivre Aller sur la page de ce journaliste
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