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lundi 9 juin 2014

Les troubles du comportement aux urgences peuvent représenter un véritable "piège" diagnostique


Parce qu'un patient agité et délirant, une personne âgée aux pensées suicidaires ou une adolescente mutique et prostrée ne relèvent pas nécessairement de la psychiatrie, un atelier au congrès de la SFMU a permis d'échanger autour de cas cliniques concrets sur les "pièges" que peuvent représenter les troubles du comportement aux urgences.

"Docteur, mes voisins m'ont envoyé des rayons lasers toute la nuit et je ne sais pas quelles sont les séquelles sur mon cerveau et mes organes. Il faut vérifier partout, je ne peux vous en dire plus pour l'instant...". Le patient de 25 ans est arrivé au service des urgences, seul et par ses propres moyens, du CH Sud-Francilien (CHSF, Essonne). Il est agité, inquiet et effrayé mais finit par se confier davantage. "Mon sperme est devenu fluorescent", précise-t-il, tout en étant critique sur ses propres dires et sentant bien que la situation n'est pas normale. Quelle attitude adopter et quel protocole appliquer ? Les questionnements, récurrents, ponctuaient chacun des cas cliniques présentés lors d'un atelier organisé le 5 juin dans le cadre du 8e congrès de la Société française de médecine d'urgence (SFMU) à Paris. Urgentistes, infirmiers et psychiatres réunis en tables rondes planchaient sur plusieurs cas cliniques avérés, faisant des propositions quant aux modalités de prise en charge, et/ou des hypothèses diagnostiques au fur et à mesure que des précisions leur étaient données sur le cas, tels "l'équipe du Dr House", se sont amusés plusieurs participants. Car même, et peut-être surtout, en face de patients agités, les professionnels doivent être vigilants à garder à l'esprit la nécessité d'un diagnostic différentiel aux troubles psychiatriques. Ces troubles du comportement aux urgences présentent "un véritable piège diagnostique", ont souligné le Dr Hélène Cardot, psychiatre à l'hôpital Louis-Mourier de Colombes (AP-HP) et le Dr Esther Simon-Libchaber, urgentiste au CHSF. 

Collaboration soignant-psychiatre-urgentiste "indispensable"  

"Pour éviter ce piège, il faut une démarche rigoureuse afin d'élimer en priorité une origine organique pour secondairement évoquer une origine psychiatrique. L'examen clinique est indispensable à cette démarche même si le trouble est clairement identifié par un confrère comme étant psychiatrique", ont-elles appuyé. Avec la troisième intervenante, Soazick Larcher, infirmière au CHSF, elles ont insisté sur le fait que la collaboration, sur ces cas piégeux a fortiori, entre soignant, urgentiste et psychiatre était "véritablement indispensable". Une collaboration qui peut cependant être rendue difficile quand il n'y a pas de psychiatre présent à temps plein sur site ou d'équipe de psychiatrie de liaison mobilisable, ont témoigné des participants. Sur le cas du patient délirant arrivé au CHSF, les examens ont en fait révélé un diabète insulino-dépendant, qui pouvait expliquer les hallucinations visuelles, comme l'ont expliqué les intervenantes, littérature à l'appui. Pris en charge en unité d'hospitalisation de courte durée (UHCD), mis sous insulinothérapie et réhydraté, le patient a vu tous ses symptômes disparaître. Des éléments avaient pu mettre la "puce à l'oreille", a expliqué Hélène Cardot : "Généralement, la personne délirante ne vient pas toute seule aux urgences, elle est amenée par la famille ou la police". De plus, il n'avait pas d'antécédents psychiatriques et était lui-même critique de ses hallucinations. Enfin, contrairement à une idée répandue, très peu de pathologies psychiatriques donnent des hallucinations visuelles stricto sensu, a-t-elle souligné. Celles-ci relèvent d'une origine organique à identifier. 

Des diagnostics différentiels parfois difficiles

Deux autres cas piégeux ont été présentés et discutés, dont celui d'une patiente de 73 ans aux idées suicidaires – mais résistante aux anxiolytiques – et s'alimentant très peu, amenée par son mari avec une lettre du médecin traitant qui sollicitait un avis psychiatrique. "Forme de démence ou dépression, c'est l'un des diagnostics différentiels les plus difficiles à faire en psychiatrie", a souligné Hélène Cardot. Après des examens d'imagerie, il s'avère que la patiente présentait un méningiome frontal. Autre cas, celui d'une adolescente de 17 ans, mutique et prostrée, amenée par sa famille d'accueil depuis un mois après avoir vu un médecin de SOS Médecins soupçonnant un syndrome dépressif majeur. Il s'avèrera que la jeune femme souffrait d'une thrombophlébite cérébrale, "qui représente quelque 0,5% des AVC, et qui est souvent retrouvée post-mortem à l'autopsie". Plus généralement, Esther Simon-Libchaber a présenté la distribution des diagnostics retenus chez 408 patients agités reçus aux urgences du CHSF : 59% avaient pris des toxiques ou souffraient d'alcoolisme (qui peut être concomitant de troubles psychiatriques) ; 14% souffraient de pathologies psychiatriques aïgues, 10% d'états dépressifs, 7% d'anxiété, 2% de démence ; et pour 5% d'entre eux, leur comportement était troublé par une atteinte organique. La prise en charge doit être protocolisée, ont souligné les intervenantes, alors que le patient rentre aux urgences dans une chaîne dont les maillons sont l'infirmier organisateur de l'accueil (IOA), l'infimier de la zone de soin, l'urgentiste et le psychiatre. "À chaque étape du circuit, des pièges sont à éviter", ont-elles rappelé, au travers notamment d'une fiche pratique remise aux participants. 

Agitation = urgence "absolue"

Dès l'accueil, explique cette fiche, l'IOA doit reconnaître l'agitation, verbale et/ou physique, comme une "urgence absolue", ainsi qu'identifier les situations qui peuvent évoluer vers une agitation. Par exemple, le patient, violent et agressif avant son arrivée aux urgences, peut le redevenir, ou celui apparemment "en état docile", qui ne voulait pas venir et risque de fuguer. Parfois, le patient, dont la psychose est aïgue, est calme mais il est permis de douter sur sa dangerosité. Enfin, la fiche présente l'ensemble des étapes (interrogatoire/examens cliniques et complémentaires), ainsi qu'une grille de critères faisant évoquer une origine organique ou psychiatrique. L'urgentiste qui constate un examen clinique normal ou stable, des constantes normales, un patient avec antécédents en psychiatrie et des épisodes récidivants, se concertera avec le psychiatre. Mais, avertit la fiche pratique, l'on peut parfois constater des troubles du comportement d'origine psychiatrique d'installation brutale et inaugurale...
Caroline Cordier 


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