Deux ans après. C’est loin mais encore si présent. Deux ans après le diagnostic d’un cancer, puis le traitement, puis la reprise de la vie de tous les jours. De plus en plus de personnes sont atteintes par cette maladie : près de 350 000 nouveaux cas par an. Plus des deux tiers d’entre elles vivront plusieurs années avec les marques de ce mal, avec le risque de rechute, avec les effets secondaires de la maladie et de ses traitements. Et aussi avec le regard d’autrui. Pour mieux connaître et comprendre les difficultés du retour à la vie normale, l’Institut national du cancer (Inca) avait prévu il y a cinq ans de conduire une «enquête de grande envergure interrogeant les personnes atteintes d’un cancer deux ans après le diagnostic». Un travail qui s’inscrit dans le nouveau plan cancer annoncé par François Hollande.
Ce mardi, cette série d’enquêtes et de recherches menée auprès de 5 000 personnes sur l’avant et l’après-cancer avec, en appui, les statistiques de l’assurance maladie, est rendue publique au cours d’un colloque (1).

Le constat se révèle un brin déprimant. Si, à l’évidence, les progrès thérapeutiques sont spectaculaires, vivre après cette maladie reste une épreuve. «De manière générale, les personnes confrontées au cancer témoignent d’un état de santé et de bien-être dégradé par rapport au reste de la population», écrivent les chercheurs, avant d’ajouter : «Si les inégalités sociales de santé jouent finalement assez peu en amont du cancer, voire pendant la prise en charge, en revanche, elles deviennent de plus en plus fortes à mesure que l’on s’éloigne de l’expérience du cancer.» Comme si vivre après un cancer ne faisait qu’aggraver les fragilités préexistantes. Tour d’horizon autour de cinq points.

LA FATIGUE, SÉQUELLE LA PLUS FRÉQUENTE

Après la maladie, ils ne sont plus comme avant : fatigués, souvent , souffrant aussi de douleurs persistantes. Des gênes qui égratignent la vie au quotidien. «La fatigue constitue le symptôme le plus fréquemment ressenti par les personnes traitées»,relatent les enquêtes. Parmi les malades interrogés, deux sur trois affirment avoir éprouvé des douleurs au cours des quinze derniers jours. Certes, les symptômes diminuent grâce au traitement, mais la fatigue reste, s’installe et peut durer des années après la fin du traitement. L’importance de celle-ci varie fortement suivant le type de cancer, avec des taux minimums de 30% pour celui de la prostate ou le mélanome. Mais elle peut toucher plus des deux tiers des patients qui ont eu affaire à d’autres types de cancers, comme celui du poumon, de la thyroïde, du rein ou encore du col de l’utérus. Ce sentiment de fatigue varie en fonction du sexe, tandis que des facteurs sociaux interviennent également. Chez les femmes, «la fatigue est d’autant plus vive lorsqu’elles se débattent aussi avec des situations sociales difficiles. Chez les hommes, les principaux facteurs associés à la fatigue sont relatifs à la gravité et au traitement du cancer».
Outre cet épuisement, près d’un patient sur deux se plaint de douleurs. Dans la quasi-totalité des cas, il s’agit de souffrances avant tout physiques. Et ce sont surtout les femmes et les personnes de moins de 50 ans qui l’expriment. Il faut encore noter que, là encore, les malades en situation de précarité «rapportent plus fréquemment des douleurs récentes». Parmi les patients qui ont participé à l’enquête, 76,1% ont consulté un médecin, mais très peu ont eu recours à une consultation médicale spécialisée dans le traitement de la douleur. Au final, l’usage de médicaments contre la douleur reste assez, voire trop modérée.
Dans un domaine voisin, un nombre élevé de malades prend des psychotropes (surtout des anxiolytiques) : plus d’un patient sur deux en a consommé l’année suivant l’annonce de son cancer et 40% en consomment encore lors de la seconde année de suivi.

UN FORT IMPACT SUR L'EMPLOI

C’est évidemment le symbole de la vie qui reprend : le travail. Mais très clairement, «le cancer a un fort impact sur la situation professionnelle».Au moment du diagnostic, 8 personnes sur 10 étaient en emploi, contre 6 sur 10 deux ans plus tard. Et, comme on peut le deviner, cette perte d’emploi est lourdement inégalitaire : elle touche davantage les moins diplômés, les plus jeunes et les plus âgés, ceux qui exercent un métier d’exécution, ou qui ont un contrat de travail précaire. «Ces résultats illustrent le cumul des difficultés lorsque l’impact du diagnostic de cancer s’ajoute à des caractéristiques pénalisantes», selon l’Institut national du cancer (Inca). En outre, la gravité de la maladie accentue les inégalités sociales.
Autre constat de l’Inca : plus le pronostic initial est mauvais, plus l’écart observé entre métiers d’exécution et métiers d’encadrement s’accroît. Ainsi, pour un cancer de bon pronostic, le taux de maintien en emploi deux ans après le diagnostic est de 89% pour les métiers d’encadrement et 74% pour les métiers d’exécution, mais ces pourcentages chutent respectivement à 48% et à 28% pour les cancers qui ont de plus mauvais pronostics.
Quant aux discriminations, elles restent bien présentes : près d’un patient sur dix déclare qu’«il lui est déjà arrivé d’être l’objet d’attitudes de rejet ou de discrimination liées directement à sa maladie». Ces attitudes discriminatoires frappent davantage ceux qui connaissent des difficultés financières : près d’un sur quatre en fait état.

UN DIAGNOSTIC MIEUX ANNONCÉ

On se souvient d’un temps où l’annonce d’un cancer se faisait entre deux portes, sans trop de précautions. L’enquête de l’Institut national du cancer montre que les conditions d’annonce se sont fortement améliorées, même s’il reste des points noirs. Ainsi, huit fois sur dix, le diagnostic de cancer a été annoncé au patient par un médecin hospitalier ou un médecin de ville et, neuf fois sur dix, cette annonce a eu lieu en face-à-face. Elle est jugée trop brutale par 17,7% des patients et «peut-être» trop brutale par 6% d’entre eux. «Ce ressenti est plus fréquent lorsque l’annonce n’a pas été faite par un médecin ou pas en face-à-face. Il ne dépend pas de la localisation de la pathologie ou de sa gravité.» Ce sentiment de «brutalité» est aussi plus fréquent parmi les femmes.
Par ailleurs, près de la moitié de l’échantillon a bénéficié d’une consultation pendant laquelle le médecin a confirmé le diagnostic, présenté les traitements envisagés et remis au patient un document comprenant son programme de soins personnalisé et le calendrier de ses traitements. Lors de cetentretien, seule une minorité de malades se souvient s’être vu proposer de consulter un psychologue ou une infirmière, voire une assistante sociale.

UNE QUALITÉ DE VIE EN CHUTE LIBRE

A quoi cela sert-il d’être quasiment «guéri» si la qualité de vie reste médiocre ? C’est l’un des enjeux majeurs de la prise en charge des personnes atteintes par une maladie chronique.
Sur ce point, les résultats de l’enquête de l’Institut national du cancer sont un peu décourageants. Ils pointent en effet «une forte dégradation de la qualité de vie», même si bien sûr cela dépend beaucoup du type de cancer en cause, des traitements reçus et des séquelles subies.
Logiquement, la dégradation de la qualité de vie physique est plus fréquente pour le cancer du poumon et, inversement, moins fréquente pour le cancer de la prostate.
Cependant, insiste l’Inca, «dans tous les cas, la proportion de qualité de vie dégradée est supérieure à celle observée en population générale de même âge et de même sexe».

UNE SEXUALITÉ FRAGILISÉE

On reste ensemble, mais on ne fait plus trop l’amour. De fait, lors d’un cancer, le couple est préservé, mais pas la sexualité. Et cela aussi bien pour les hommes que pour les femmes. Clairement, donc, on observe un impact important de la maladie sur la vie sexuelle, quelle que soit la localisation du cancer.
Plus de la moitié des personnes interrogées déclarent une diminution de leur libido (voire une disparition pour 22,4%). On en parle. Mais pas suffisamment. Le sexe est un aspect peu abordé par les soignants.
Chez les hommes, 18,3% déclarent avoir discuté de sexualité avec l’équipe médicale à l’initiative du personnel, 16,9% de leur propre chef et 17,2% ne l’ont pas souhaité. Chez les femmes, ces taux sont respectivement de 4%, 6,7% et 24,5%.
Bien que toutes les formes de cancer soient source de difficultés sexuelles, celles-ci sont davantage abordées lorsque la maladie a un lien avec la sphère génitale, comme le cancer de la prostate ou de l’utérus. «La sexualité étant partie intégrante d’une meilleure qualité de vie, il apparaît indispensable de renforcer la communication autour de ces questions», insiste l’Institut national du cancer.
(1) «Cancer : la vie deux ans après le diagnostic», Bibliothèque nationale.