L’encre de la loi de financement de la sécurité sociale à peine sèche, la chasse au gaspillage est à nouveau ouverte. Bien sûr, tout le monde se réjouirait si une baisse des dépenses pouvait aussi correspondre à une amélioration objective des soins. Or, c’est tout à fait possible. Si l’assurance maladie remboursait même partiellement un certain nombre de séances de psychothérapie, environ une vingtaine (il en faut parfois beaucoup moins), à tous ceux qui sont atteints d’un trouble de santé mentale courant (dépression modérée à sévère, troubles anxieux), le gain serait considérable, autant pour la collectivité que pour ces personnes en souffrance. Nous voyons déjà s’écarquiller les yeux des lecteurs et, malheureusement, d’un trop grand nombre de décideurs publics. Car cinq idées fausses, hélas très enracinées, biaisent le débat. Un énorme corpus d’études, accumulées depuis plus de trente ans, vient heureusement les contredire, auquel s’ajoute notre travail récent, centré sur la France.
Premier préjugé : les psychothérapies ne seraient pas efficaces. C’est tout l’inverse ! Quand on applique à l’évaluation de ces traitements les méthodes de calcul appliquées en santé publique pour les cancers, ou les handicaps divers, etc. autrement dit, quand on rapporte l’efficacité clinique au poids morbide des symptômes (on chiffre le nombre d’années de vie gâchées par une dépression), le ratio qu’on obtient place les psychothérapies au premier rang des traitements les plus efficaces. Quantité de gestes chirurgicaux prescrits sans hésitation figurent loin derrière.
Deuxième préjugé : les psychothérapies ne seraient pas efficientes, autrement dit, ce qu’elles coûtent ne serait pas compensé par ce qu’elles permettent d’économiser. Encore faux ! Quand on inclut dans le calcul non seulement les arrêts de travail, mais les psychotropes inutilement prescrits (souvent pas ou mal consommés), les vaines consultations à répétition chez le généraliste, les complications somatiques, les effets sur l’entourage (arrêts de travail supplémentaires, troubles psychiques supplémentaires, etc.), la suicidalité, les économies sont énormes. Nos simulations montrent que pour un euro investi dans la prise en charge d’un adulte dépressif, elles se montent à deux euros. Il suffirait pour cela de rembourser à 60% une vingtaine de séances facturées chacune 40 euros. C’est avéré : un tel remboursement serait rentable à court terme.
Quant à l’idée, apparemment plausible, selon laquelle l’offre ferait exploser la demande, elle est démentie par les constats sur l’offre de psychothérapie gratuite : un patient sur cinq ne vient pas à son premier rendez-vous, et un patient sur deux dans les structures publiques ne vient qu’une seule fois. Le problème sera plutôt d’améliorer l’offre, en accessibilité et en qualité, pour tirer tous les avantages de ces traitements.
Troisième préjugé : ce serait rallumer la guerre bien française entre les partisans et les ennemis de la psychanalyse, comme en 2004, au moment du rapport Inserm sur les psychothérapies. C’est absurde. Car les études les plus fiables n’accordent désormais plus d’importance à l’école de psychothérapie testée. L’analyse «en facteurs communs», qui s’est imposée partout, évalue des facteurs qui ne sont spécifiques à aucune (psychanalyse ou thérapie comportementale). Il en ressort un enseignement capital : ce qui optimise l’efficacité d’une psychothérapie, c’est que les personnes qui y ont recours aient le libre choix et de la méthode et du thérapeute. Si on les prive de ce choix, l’efficacité de la technique, quelle qu’elle soit, s’effondre. En termes de santé publique, peu importe donc que vous vous confiiez à un freudien ou à un comportementaliste. En revanche, il est contre-productif de forcer les gens contre leurs préférences personnelles.
Quatrième préjugé : ce serait une lubie médico-sociale franco-française. Faux : au Royaume-Uni, les résultats du programme Improving Access to Psychological Therapies («améliorer l’accès aux psychothérapies») sont publics et largement discutés dans la littérature scientifique. Ils sont sans ambiguïté. En fait, partout où ce remboursement existe, même à moindre échelle, les effets sont positifs.
Cinquième préjugé : nous n’aurions pas les moyens humains pour mettre en place cette politique. Encore faux. Selon nos estimations, un million de gens sont susceptibles de consulter chaque année pour ces troubles courants. Or, il faudrait 14 000 psychothérapeutes à temps plein pour répondre à la demande. C’est ce dont nous disposons déjà en France.
Rappelons, d’autre part, que le législateur s’est entouré de précaution pour fixer les exigences de formation et pour donner un statut légal à ces spécialistes. Affirmons-le donc : en reculant devant une mesure de bon sens, nous privons nos concitoyens d’un soin efficace et nous faisons peser un poids économique indu sur la collectivité. A l’heure d’arbitrages difficiles dans le domaine de la santé, on aura bien du mal à trouver une situation où l’amélioration du service rendu marche à ce point main dans la main avec une réduction des coûts.
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