SEXE ET GENRE
Pour déjouer les stéréotypes et interroger les inégalités entre les hommes et les femmes, des comédiens vont à la rencontre de collégiens. Comme à Vitrolles et à Marseille.
Depuis un moment, Chaneize se balance sur sa chaise en fronçant les sourcils. Elle écoute, réfléchit, puis résume : «En fait, c’est chacun sa part du marché. Dans un couple, la femme, elle s’occupe des enfants et l’homme, il ramène des sous.» On est à Vitrolles (Bouches-du-Rhône), dans une classe de collège et la réplique ne fait pas tiquer les autres élèves. Seuls deux comédiens marquent un silence, puis repartent à l’assaut, demandent à Chaneize si elle se voit exercer un métier plus tard. La compagnie de théâtre Kartoffeln n’a pas attendu les ABCD de l’égalité pour travailler dans les établissements scolaires la question du genre et des relations entre filles et garçons. Depuis près de dix ans, elle propose des spectacles suivis de débats sur les rôles assignés à chacun, le désir, la réputation, les rumeurs, les différences salariales, les enfants, les tâches ménagères, l’égalité. L’idée est moins de convaincre que de faire comprendre les mécanismes de domination masculine, de construction des genres. Libération a accompagné les comédiens dans un collège de Vitrolles, puis dans un autre des quartiers Nord de Marseille, et enfin dans un foyer des quartiers Sud, où des adolescents sont placés. A chaque fois, cela commence par une pièce, fausse conférence sur le thème des garçons et des filles, qui démarre sagement pour devenir plus trash, parler de virginité, d’insultes dans la rue, de violences conjugales, des enfants, des règles, des bimbos, de l’utilisation de la femme en objet sexuel dans les publicités, etc. Pendant la projection d’un montage vidéo de pubs où des femmes tirent la langue, se tortillent, se dénudent, se retrouvent les jambes écartées, beaucoup se cachent les yeux, regardent entre leurs doigts. Puis les élèves se rassemblent en classe avec deux comédiens pour le débat. Les discussions commencent souvent par une forte gêne.
Tâches ménagères et enfants. Dans la classe de Chaneize, la comédienne demande : «Pourquoi on dit souvent que le ménage, c’est le travail des femmes ?» Un garçon propose spontanément : «Parce que ça plaît pas aux hommes ?» La comédienne répond que ça plaît rarement davantage aux femmes, puis elle fait remarquer que ces tâches leur sont aussi réservées dans les publicités. «Dans la vie c’est comme ça», reprend le garçon, sans qu’une fille réagisse. Même «logique» pour l’éducation des enfants. Un passage de la pièce les a bien fait rire, quand un comédien a dit qu’il aimait changer son bébé, même si ça puait. Une fille de la classe se moque : «Les garçons, ils savent pas changer une couche.» Un comédien : «Pourquoi les filles elles sauraient mieux ?» La fille : «Parce qu’elles le font tout le temps.» La plupart découvrent au cours du débat que les congés parentaux sont accessibles aux hommes comme aux femmes. «Mais un homme, s’il le prend, il va perdre son travail»,fait remarquer un garçon. «Une femme, c’est moins grave, elle a les allocations familiales», surenchérit une fille.
Travail. Un élève raconte que les hommes «gagnent plus de sous», c’est pour ça que «les femmes peuvent rester à la maison». Mais lorsque les comédiens leur demandent s’ils trouvent normal que les hommes gagnent plus que les femmes pour le même travail, tout le monde répond que non. «A la base, l’homme, c’est celui qui ramène à manger, la femme, elle, fait le ménage et la nourriture», ajoute un garçon. Ce qu’il appelle «à la base» ? «Avant notre époque.» Sur la plupart des sujets, l’égalité leur semble la norme. Lorsque la troupe demande aux filles si elles veulent travailler ou rester à la maison plus tard, toutes répondent qu’elles travailleront. Dans certaines classes, quasiment aucune ne parle. Elles laissent les garçons ricaner, jouer les petits hommes. Ils dominent l’espace par des rictus ou des moqueries quand l’une d’elles prononce un mot. Elles s’effacent, cachent leur bouche quand elles rient.
Désir. Cela se complique encore quand les comédiens commencent à parler de désir et de sexe. Aucune ne veut répondre. Les garçons guère plus, sauf pour évoquer les filles. L’un d’eux explique qu’une «fille facile», on ne l’appelle plus «une crasseuse» aujourd’hui dans les cités. On dit «une folle». Le public de Kartoffeln oscille le plus souvent entre 13 et 15 ans. L’immense majorité n’a pas encore fait l’amour. A Vitrolles, Chaneize affirme que «les garçons, ils sont pervers, ils pensent qu’à des trucs bizarres, à l’activité». En face d’elle, Kevin la reprend : «Ma mère, elle dit que quand elles sont entre elles, les femmes elles en parlent beaucoup aussi.» En théorie, ils sont à peu près tous d’accord sur le fait qu’hommes et femmes ont les mêmes droits par rapport à la sexualité.«Mais pour une fille, c’est la honte de parler de son désir, dit Chaneize.Moi, j’ai pas honte, mais les filles si. Si elles font l’amour avec un homme, il y aura des preuves.»«Quelle preuve ?» demande le comédien.«Un bébé dans deux mois.»
Virginité. Dans le foyer des quartiers Sud de Marseille, une ado répond sur le même thème : «Les filles qui ont fait l’amour, ça se voit à leur démarche. Elles ont les jambes plus écartées.» Parfois, les comédiens soupirent. Une professeure de SVT annonce qu’il y aura bientôt des cours sur la reproduction au collège. Si les élèves le veulent, ils pourront lui faire passer des questions anonymes et elle y répondra. Il y a du travail. A chaque débat, le thème de la virginité s’invite. Une fille, à Vitrolles : «La femme, elle doit rester hallal, elle ne doit pas coucher avant le mariage.» Et le garçon ? Une autre répond : «C’est pas pareil, il se sent macho, il est costaud, il a niqué. Tandis qu’une fille, elle aura honte, elle voudra pas le dire.» Marie, au même débat, explique qu’elle aimerait mieux que son mari aussi soit vierge, «mais c’est rare pour un garçon».
Réputation. Pour l’instant, ont-ils des envies ? «Ça va, ça se contient, tranquille», dit un jeune. Les filles forcent sur la dénégation. «Moi, j’ai pas d’envies, mais vous croyez que si une fille en a, elle va le dire ?»demande une élève. Pourquoi doit-elle le cacher ? Elles ne mettent pas en avant l’intimité, mais la réputation. «Une fille,raconte une élève, elle porte le nom de sa famille. Elle peut casser la fierté de son frère.»
C’est pour cela que les histoires d’amour se cachent. «Les garçons parlent trop, ça passe d’une oreille à l’autre et, après, la fille, elle passe pour une salope.» La comédienne relève alors : «Mais c’est quoi une salope ?» Un garçon répond du tac au tac : «Une fille qui met des jupes.»Alors, la professionnelle : «Mais moi, je suis en jupe, là.» Il devient tout rouge, explique que ce n’est pas pareil, qu’elle porte un collant sombre.«Qu’est-ce qui pose problème si je n’ai pas de collant ?» Une fille :«Après, les garçons, ils regardent, c’est des pervers.» La comédienne revient vers le jeune homme : «Tu trouves que je suis habillée en prostituée ?» Il bégaie : «Pas tout à fait.» Elle : «C’est-à-dire ?» L’élève :«C’est du 50-50.»
Alors elle leur demande s’ils trouvent normal que les filles doivent faire plus attention à ce qu’elles portent que les garçons. Non. Comme pour les tâches ménagères ou les salaires, ils sont d’accord en théorie sur l’égalité.«Mais c’est long pour que ça change dans les faits,observe un ado resté jusque-là silencieux. C’est long parce que, même les filles, elles parlent là-dessus comme les garçons.» Il faudra du temps et peut-être un peu plus de débats sur le genre à l’école.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire