Nouveau président de la puissante American Psychiatric Association (principale organisation des psychiatres aux États-Unis, depuis 1844, et éditrice du célèbre DSM), le professeur Jeffrey Lieberman évoque quelques souvenirs sur son parcours professionnel. Quand j’ai choisi la psychiatrie, explique-t-il, plusieurs de mes enseignants ont essayé de m’en dissuader : «Pourquoi voudriez-vous perdre votre excellente formation médicale ? » disaient-ils. Heureusement, le futur président de l’APA n’écouta pas le chant de ces sirènes et embrassa tout de même cette spécialité car il était « fasciné par le cerveau et les comportements » et se trouvait « attiré par le défi d’aider les personnes les moins en mesure de s’aider elles-mêmes. »
Jeffrey Lieberman voulait participer au grand mouvement de réforme de la psychiatrie, promis par JF Kennedy peu avant sa mort (le Community Mental Health Act). Dans une perspective visionnaire, JFK évoquait « un temps où la froideur de l’isolement sera supplantée par la chaleur de l’entraide.» En 1976, quand le jeune Dr Lieberman commençait son cursus de résident en psychiatrie, cette « nouvelle ère » pressentie par JFK « semblait enfin à portée de main. »
Tout au long de sa carrière, l’auteur dit avoir été « extrêmement sensible » à la stigmatisation à l’encontre des malades mentaux, aux disparités en matière de santé mentale, et au « manque de respect » envers la psychiatrie comme spécialité médicale à part entière. Si cela pouvait encore se comprendre à une époque où cette discipline n’était pas « aussi scientifiquement fondée qu’elle aurait dû l’être », la discrimination à l’égard de la psychiatrie devient inadmissible au 21ème siècle, déplore Jeffrey Lieberman, alors que les données scientifiques viennent renouveler en profondeur cette spécialité.
Mais comme ailleurs, la psychiatrie américaine manque aujourd’hui d’argent : la « grande récession de 2008 a vidé les structures publiques et encouragé les cliniques privées. » Par exemple, le célèbre Cedars Sinai Hospital de Los Angeles a dû «fermer son département de psychiatrie du jour au lendemain », et l’industrie pharmaceutique a « pratiquement abandonné le développement de nouveaux médicaments psychotropes. » Quant au DSM, il est devenu « un paratonnerre pour les critiques et pour le mouvement antipsychiatrique. »
En résumé, soit la psychiatrie passe pour un « repoussoir », soit elle n’est « pas prise au sérieux. » Toutefois, ce bilan ne doit pas rester un constat désabusé, mais susciter au contraire de la part de l’APA (et de tous les professionnels concernés) des «initiatives » pour « redoubler d’efforts », face aux défis renouvelés des progrès escomptés en psychiatrie.
Dr Alain Cohen
Lieberman JA : Response to the presidential address. Am J Psychiatry, 2013; 170: 1106–1107.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire