Le séquençage complet du génome est désormais
réalisable pour chacun d’entre nous. Cette « révolution génomique » ouvre de
fascinantes possibilités médicales. Entre fantasmes et réalité, que peut-on
vraiment en attendre ?
« On est en train de progressivement quitter la génétique pour entrer dans l’ère de la génomique, observe le Dr Laurent Alexandre, président de DNA Vision, société spécialisée dans le séquençage de l’ADN. En 2020, on ne fera plus de tests gène par gène : ils seront détrônés par l’analyse complète du génome individuel, plus simple et moins coûteuse. » Et d’affirmer : « Progressivement, cette démarche deviendra systématique, avant la naissance ou plus tard. On ne sera plus dans une logique d’indications ni dans la recherche d’une anomalie ciblée. On fera ces analyses génomiques sans a priori. Et lorsqu’un patient développera une maladie, on ira rechercher dans son génome les anomalies pouvant expliquer cette affection, prédire sa réponse à un traitement... » Vision futuriste ? Ou rêve d’industriel ?
99 dollars pour un génotypage
D’ores et déjà, la société américaine « 23 and me » propose sur Internet de génotyper un million de variants génétiques... pour 99 dollars ! 180 000 personnes se sont fait tester. « Est-ce scandaleux ? Dangereux pour l’individu, le système de santé, la société ? Ou est-ce une liberté ? Ces informations sont-elles utiles ou inutiles ? », s’interroge le Pr Jean-Louis Mandel (Collège de France, IGBMC et CHU Strasbourg) qui intervenait sur le sujet lors d’une récente séance commune de l’Académie des sciences et de l’Académie nationale de médecine. Le débat est ouvert. Mais une chose est sûre : en un peu plus de 10 ans, les progrès technologiques ont été tels que ce type de « décryptage » du génome à grande échelle n’a plus rien d’utopique.
En juillet 2012, la revue Nature publiait même une étude montrant la possibilité de séquencer l’intégralité du génome f?tal... à partir d’une simple prise de sang maternel ! « Si quelqu’un avait évoqué l’idée il y a 5 ans, on l’aurait pris pour un fou », note Laurent Alexandre. « En 2001, la première version d’une séquence génomique humaine complète était publiée, pour un coût total de plus de 3 milliards de dollars, rappelle Patrick Wincker (Genoscope, CEA). En 2006, apparaissaient de nouvelles technologies de séquençage à haut débit, qui ont permis un décrochage des coûts dès 2007. »
En parallèle, la montée en puissance des analyses bio-informatique a été considérable. Aujourd’hui, on est à 10 000 dollars pour le séquençage d’un génome entier, et à 1 000 dollars pour les seules régions codantes (5% du génome). « En 2020, le séquençage intégral du génome d’un f?tus, à partir de sang maternel, devrait coûter moins de 500 dollars, analyse comprise », estime Laurent Alexandre.
Du diagnostic génétique à la médecine prédictive ?
Mais une fois ce séquençage réalisé, que fait-on ? On peut analyser le génome d’un individu pour y détecter les variants de séquence d’ADN (touchant une seule base ou tout un segment de chromosome), par rapport à des bases de données internationales. Certains de ces variants (mutations) peuvent être la cause directe de maladies « monogéniques à pénétrance forte » (maladies mendéliennes), généralement rares. On recense 3 954 maladies mendéliennes dont le gène causal est connu. D’autres variants, plus nombreux, peuvent prédisposer – avec une probabilité plus ou moins forte – à des pathologies communes, en association avec d’autres gènes, des modes de vie et des facteurs environnementaux.
Mais « pour les maladies communes, il y a très peu d’applications réelles en diagnostic prédictif ou traitement personnalisé, reconnaît Jean-Louis Mandel. Et cela va prendre beaucoup de temps ». Dans la maladie d’Alzheimer, un gène de prédisposition (ApoE) à l’effet majeur a été identifié il y a 20 ans et il n’y a toujours pas d’application thérapeutique.
Les cancers offrent une exception notable. « En 2011, 55 000 patients ont bénéficié en France d’un test de génétique moléculaire de leur tumeur, déterminant l’accès à une thérapie ciblée », indique le Pr Dominique Stoppa-Lyonnet (institut Curie). Une quinzaine de thérapies ciblant les anomalies moléculaires des cellules tumorales sont aujourd’hui disponibles. Autre application : la recherche des mutations des gènes BRCA1 et BRCA2, qui augmentent fortement le risque de cancers du sein et de l’ovaire, conduit à proposer aux femmes porteuses un dépistage plus fréquent, voire une chirurgie prophylactique ou la prise d’agents chimioprotecteurs.
Autre champ d’utilisation : la pharmacogénomique. Avec un exemple très médiatisé : celui des pilules de troisième ou quatrième générations. Elles entraînent un sur-risque de thrombose, démultiplié chez les porteuses d’une mutation dite Leiden du facteur V. « Le test de recherche de cette mutation est le plus réalisé en France, mais pas forcément chez les jeunes femmes avant de prescrire une pilule. Ce n’est pas tout d’avoir le test : encore faut-il savoir comment l’utiliser, et que faire ensuite », souligne Jean-Louis Mandel.
Pour les maladies monogéniques, la détection des mutations conduit au diagnostic étiologique, qui permet au patient de connaître la cause de sa maladie et de bénéficier d’une meilleure prise en charge médicale, éducative et sociale. Le conseil génétique, lui, permet à la famille de prévoir et prévenir le risque de récurrence.
Quel serait l’intérêt d’étendre cette démarche à la population générale ? Le diagnostic présymptomatique est utile s’il permet une prévention ou une thérapeutique précoce. Le diagnostic f?tal non invasif « est de la haute voltige pour le moment, mais il sera peut-être accessible dans 5 ans » (il est réservé actuellement à la trisomie 21 et la trisomie 13).
Quant au diagnostic préconceptionnel, il permet d’identifier les couples à risque d’avoir des enfants atteints. Il est déjà réalisé dans certaines populations : dans des pays méditerranéens pour la thalassémie, par exemple, mais pas en France. « Ce diagnostic est dès à présent faisable pour les 1 500 gènes associés à des maladies pédiatriques graves », rapporte Jean-Louis Mandel.
Le génome n’explique pas tout
Malgré tout, « gardons-nous d’une certaine naïveté et d’un certain triomphalisme qui court-circuitent la réflexion, prévient Jean Claude Ameisen. « Lorsqu’il y a 12 ans, le premier séquençage du génome humain a été publié, nombreux sont ceux qui ont dit : “Toutes les maladies vont être guéries et nous allons comprendre ce qu’est la nature humaine” ». Or, pour le moment, on reste loin du compte... D’autant que le génome n’explique pas tout. Et que l’activité de nos gènes est modulée par tous ces facteurs en « omes » comme l’épigénome, le transcriptome, le protéome, le métabolome, etc., qui, contrairement au génome, ne cessent de se modifier durant notre vie...
Dossier realise par Florence Rosier
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