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mardi 12 novembre 2013

Mort de l'écrivaine Sibylle Lacan

Le Monde.fr | Par 
Couverture de "Un père" de Sibylle Lacan (Folio Poche)
Couverture de "Un père" de Sibylle Lacan (Folio Poche) | DR
Née le 26 novembre 1940, Sibylle Lacan, deuxième fille issue du premier mariage de Jacques Lacan avec Marie Louise Blondin (1906-1983), s'est donné la mort à Paris, à son domicile, dans la nuit du 7 au 8 novembre 2013. Elle prenait de nombreux médicaments.
Traductrice de l'espagnol, de l'anglais et du russe, elle avait publié en 1994 Un père (Gallimard), livre traduit en une quinzaine de langues, et dans lequel elle relatait, avec émotion, talent et tendresse, ses relations complexes avec son père : "Quand je suis née, mon père n'était déjà plus là. Je pourrais même dire, quand j'ai été conçue, qu'il ne vivait plus vraiment avec ma mère. Une rencontre à la campagne entre mari et femme, alors que tout était fini, est à l'origine de ma naissance. Je suis le fruit du désespoir, d'aucuns diront du désir, mais je ne le crois pas."
INTRANSIGEANCE GÉNÉREUSE
Etre fille du désespoir n'empêchait pas Sibylle d'aimer passionnément la vie et d'être à l'écoute de ses amis : une écoute exigeante. Tous ceux qui l'ont connu dans ce quartier de Montparnasse qu'elle chérissait tant - entre le Sélect pour le thé, la Closerie des Lilas pour les nuits - ou encore dans l'île de Formentera, aux Baléares, où elle se réfugiait à la fin de l'été, se souviendront longtemps de son intransigeance généreuse que partageait son compagnon de toujours : Christian Valas. C'est à lui qu'elle a confié cette lettre datée du 7 janvier 2013 : "Si je me suicide, je veux que les circonstances de ma mort ne soient occultées en aucun cas (presse, amis, etc.) Cette demande doit être considérée comme faisant partie de mes dernières volontés."

Sa manière lente de parler - avec la voix de son père et la tonalité d'un visage qui évoquait sa mère -, montrait bien comment chez elle chaque mot prenait la signification d'un impératif catégorique. Sibylle Lacan voulait toujours tout savoir, tout comprendre, tout expliquer et chez elle le langage, la langue et la parole primaient sur toutes les autres formes d'expression. Elle connaissait à merveille le milieu psychanalytique, elle avait effectué deux cures sur le divan de deux élèves de son père et elle était habitée par un travail de la mémoire qui ne souffrait aucun compromis. Avec elle et face à elle, dire le vrai, exhumer la vérité relevaient d'une obligation quasi-ontologique. Elle n'aimait d'elle qu'une photographie de son enfance, celle-là même qu'elle avait choisie pour la couverture de son livre.
SANS CESSE À L'AFFÛT
Et pourtant elle avait grandi et était devenue une adulte, jamais sage, sans cesse à l'affût des regards échangés au hasard, et toujours à la recherche d'une identité qu'elle croyait introuvable mais qui était ancrée solidement en elle : elle se savait tout autant la fille de son père que celle de sa mère et elle les voulait unis l'un à l'autre pour l'éternité. Elle préférait ce rêve à une réalité plus douloureuse qu'elle n'ignorait pas. Et c'est la raison pour laquelle, dans son deuxième ouvrage, Points de suspension(Gallimard, 2000), dédié à sa mère et composé lui aussi comme un puzzle, elle parlait simplement de son enfance, des visages, des lieux, des objets, de son analyse, du vieux boucher d'en face et de la vieille dame de son quartier venue chercher du mou pour son chat : choses vues, choses vécues.

En bref, des fragments d'une vie reconstruite avec bonheur. Comme le soulignera l'écrivain Jean Ristat, ce livre témoignait d'une écriture devenue un instrument contre une "mort revancharde". Après cette reconquête d'elle-même, Sibylle regardait le monde sans amertume : "J'ai grandi à l'ombre des glaïeuls", disait-elle, en s'imprégnant du temps retrouvé bien au-delà d'une vie brisée. 

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