À l'aune de la future loi de santé publique, le Dr Christian Müller, président de la Conférence des présidents de CME de CHS, évoque pour Hospimedia les axes de travail de la conférence. Il signale que les acteurs de la psychiatrie devraient se pencher sur l'organisation des urgences, la prise en charge des âgés, les liens avec la médecine générale et les problématiques liées au logement.
Hospimedia : "Une loi de santé publique est annoncée pour 2014, avec un volet consacré à la santé mentale. Quels éléments souhaitez-vous notamment voir inscrits dans ce texte pour la psychiatrie ?
Dr Christian Müller : Une chose me paraît essentielle, l'attribution d'une mission de service public au secteur psychiatrique. Elle fonctionne aujourd'hui, mais avec un certain nombre de difficultés. C'est d'ailleurs l'une des préconisations importantes du Plan psychiatrie et santé mentale (PPSM) 2011-2015, présenté en février 2012. Cette mission pourrait être inscrite dans cette future loi de santé publique. Il s'agit de conforter législativement la sectorisation, puisque les ordonnances de 2011 prises à la suite de la loi HPST, fragilisent le secteur en ne consacrant plus son rôle de planificateur de soins en psychiatrie et santé mentale. Le rapport Couty, à la suite du Pacte de confiance, évoque un "secteur rénové", nous voyons l'idée, repenser, réactualiser le secteur, mais ce que nous voulons, c'est un secteur déjà effectif, réalisé, dans le service public territorial de santé, dans la mise en œuvre de la Stratégie nationale de santé. On ne va pas par exemple créer d'un côté un dispositif sectoriel pour la prise en charge des soins sans consentement et d'un autre un dispositif pour les soins consentis, incluant notamment les structures médico-sociales d'amont ou d'aval, les Centres médico-psychologiques (CMP)... Un patient au cours de son parcours de vie et de soins, sera vraisemblablement amené au sein du secteur à être pris en charge à différents niveaux... Il faut qu'il soit suivi par les mêmes équipes spécialisées en psychiatrie, en lien transversal avec la médecine de ville, le médico-social et le social, dans un territoire à définir par et avec le secteur.
H. : Comment travailler au niveau institutionnel à cette rénovation et à cette confortation du secteur ?
Dr C.M. : Il faut installer une instance de pilotage national pour la psychiatrie et la santé mentale, c'est une nécessité urgente. Pas seulement un comité chargé de travailler aux modalités de financement, que la DGOS a annoncé récemment envisager de mettre en place. Ce pourrait être le groupe restreint prévu dans le PPSM, qui préconise la création d'un groupe épaulant la [Direction générale de la santé] DGS, pour assurer la coordination des politiques publiques et le suivi du Plan. On peut imaginer un groupe d'une quinzaine de personnes tout au plus, des acteurs de la psychiatrie dont la légitimité est indiscutable. Il inclurait outre des représentants de la DGS et de la DGOS, la Haute autorité de santé [HAS], l'Agence nationale d'appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux [Anap] et des représentants professionnels. J'en profite d'ailleurs pour rappeler l'importance du travail que réalisent les infirmiers en psychiatrie, acteurs du quotidien des patients, énormément investis, et sans doute insuffisamment reconnus. Enfin, cette instance devra s'assurer que les objectifs du PPSM sont bien intégrés dans les feuilles de route des administrations, celles des ARS notamment. Chose importante, il ne faudrait pas dissoudre la nécessité de soins psychiatriques dans le concept plus large d'enjeux de "santé mentale". Les patients ont besoin de soins médicaux. Or, la démographie des psychiatres devrait connaître un différentiel négatif à l'horizon 2015, selon le [Centre national de gestion] CNG. Des régions sont d'ores et déjà en difficulté, le Centre, la Picardie, la Champagne-Ardenne, la Bourgogne... Il ne faudrait pas non plus tomber dans une sorte de "dérive médico-sociale" en pensant que l'on a nécessairement aujourd'hui davantage besoin de logements adaptés que de lits en psychiatrie (lire également encadré ci-dessous)... Les réflexions sur l'offre de soins et le parcours, complexes, doivent être menées, à tous les niveaux.
H. : Comme vous l'avez rappelé lors d'une audition au Sénat fin septembre devant la Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) sur les ARS, vous trouvez que les agences traitent la psychiatrie et la santé mentale de manière trop hétérogène...
Dr C.M. : Oui, j'y représentais la Conférence et étais notamment auditionné au côté du président de l'[Association des établissements participant au service public de santé mentale] Adesm, Joseph Halos. Dans certaines ARS, manquent des interlocuteurs pour la psychiatrie clairement identifiés. Certaines ne disposent même pas de tels interlocuteurs. Comme nous l'indiquions déjà en février dernier aux journées FHF consacrées à la psychiatrie, Il apparaît que le PPSM a été pris en compte dans une vingtaine de régions sur 26. Cependant, ce n'est qu'une prise en compte partielle et incomplète pour sept d'entre elles et dans trois régions, elle a été nettement insuffisante, sinon nulle. Les agences ne tiennent pas toutes leurs promesses de transversalité et de décloisonnement, notamment entre sanitaire et médico-social, et cela se retrouve parfois dans leur organisation interne. La transversalité fait encore plus défaut en psychiatrie, notamment en ce qui concerne les liens avec le secteur social pour la lutte contre l'exclusion et la précarité. En résumé, il nous faudrait des interlocuteurs dédiés, un accompagnement plus personnalisé des établissements, développer une démarche ascendante des besoins et d'amélioration de la fluidité des parcours.
H. : Une séance plénière de la conférence des présidents de CME de CHS s'est tenue à la mi-octobre, quels sont les axes de travail prioritaires identifiés à l'avenir ?
Dr C.M. : Outre les problématiques liées aux moyens alloués à la psychiatrie et le maintien de l'offre de soins, nous avons identifié et évoqué plusieurs axes prioritaires. Sur le volet des urgences, il s'agit notamment des prises en charge au sein des services d'urgence et de l'articulation entre les équipes dans ces services et les psychiatres. Quand on voit la proportion de patients accueillis en SAU, jusqu'à 25 à 30% sur des motifs psychiatriques ou des problèmes somatiques liés à des problèmes d'addictions et/ou psychiatriques... Il s'agit aussi de travailler sur l'articulation des psychiatres avec le Samu, au niveau de la régulation et des interventions à domicile. Concernant les difficultés d'aval, en psychiatrie, nous avons aussi des problèmes de gestion et de saturation des lits, et il faut réfléchir à la pertinence par exemple de lits dédiés en Unités d'hospitalisation de courte durée (UHCD). Il s'agit également de travailler à l'accueil des soins non programmés en CMP. Pour toutes ces problématiques liées aux urgences, sur lesquelles nous devrions donc consacrer des réunions spécifiques, il y a des expériences remarquables en région à faire remonter, qui pourront nourrir nos réflexions. Je pense, sans que cette liste soit exhaustive, à des expériences à Poitiers, en Picardie, à Pau, à Toulouse, à la Roche-sur-Yon...
H. : Quels autres axes ont été développés ?
Dr. C.M. : Nous devons tisser davantage de liens avec la médecine générale et poursuivre nos efforts sur la problématique des soins somatiques pour ces patients, ou l'orientation de ces derniers, en situation de crise par exemple. Nous travaillons avec le Collège de la médecine générale à une charte pour renforcer la collaboration entre les professionnels. Enfin, il y a la problématique du logement, qui revient régulièrement, qui peut conduire des patients à rester hospitalisés quand ils pourraient intégrer des structures médico-sociales ou des logements adaptés. En Provence-Alpes-Côte d'Azur (Paca) par exemple, où le Dr Dolorès Torrez du CH Édouard Toulouse à Marseille mène un travail très actif sur cette problématique, on estime que dans certains secteurs qu'un tiers des patients en psychiatrie sont sans solution de logement authentique. Cependant, il faut être très prudent sur la question de logements dédiés, et considérer chaque situation locale en fonction des besoins et des profils de patients. Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà... Enfin, je pourrais aussi citer la prise en charge des adolescents ainsi que celle des troubles alimentaires comme des thématiques propres à développer des dispositifs intersectoriels.
H. : Vous avez également évoqué avec la ministre en charge des Personnes âgées, Michèle Delaunay, lors d'un congrès à Bordeaux (Gironde) les 17 et 18 octobre, les enjeux du vieillissement et de la perte d'autonomie...
Dr. C.M. : C'est effectivement aussi un axe de travail prioritaire et nous avons pris rendez-vous avec la ministre. Nous avons évoqué l'enjeu de l'articulation entre équipes de secteur et Ehpad, et la nécessité d'harmoniser, de coordonner, de protocoliser les pratiques alors que dans certains secteurs il y a de nombreux Ehpad et dans d'autres aucun. La ministre a également évoqué la problématique des interventions urgentes en Ehpad, avec par exemple, l'intervention d'équipes mobiles de psychiatrie. Il faut engager une réflexion sur ces équipes et sur les interventions à domicile également pour les âgés isolés. Il existe des initiatives innovantes, locales, qui dépendent des personnalités qui les animent, des réseaux gérontologiques qui fonctionnent très bien, mais là encore il faut être très prudent. Je pense qu'il ne faudrait pas multiplier de telles équipes en les déconnectant du secteur. C'est toujours l'enjeu de la continuité des prises en charge avec les mêmes équipes au cours du parcours de soins... Il ne faut pas multiplier les interlocuteurs en psychiatrie, d'autant plus que les histoires peuvent être très douloureuses, et que l'on touche au plus intime. Je pense par exemple à l'un des enjeux de la gérontopsychiatrie : la dépression du sujet âgé et la prévention du suicide, sur lesquels travaille activement le ministère de Michèle Delaunay. Ces risques sous trop souvent sous-évalués et il y a aussi l'idée largement répandue qu'il est moins grave de mourir quand on est "vieux". Or non, ce n'est pas moins grave. Les soignants, notamment les plus jeunes, devraient avoir cela en tête, mais cela renvoie aux problématiques éthiques de la fin de vie... Or ce sont des enjeux d'importance dont nous ne devons nous départir.
Propos recueillis par Caroline Cordier
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