En écharpe, en poussette ou même en gestation, ils étaient présents, samedi 26 octobre, dans la dizaine de manifestations qui ont eu lieu dans toute la France pour le droit à l'accouchement à domicile. Place de la République, à Paris, une soixantaine d'enfants, "nés à la maison" comme le proclamaient leurs bavoirs et leurs tee-shirts, et autant d'adultes étaient réunis sous la banderole : "Nos sages-femmes assurent, assurez-les." Le sujet concernerait entre 1 000 à 3 000 accouchements par an sur environ 800 000 naissances.
Plusieurs organisations étaient à l'origine de ces rassemblements : le Collectif interassociatif autour de la naissance, l'Association nationale des sages-femmes libérales ou encore Pour le droit de choisir son accouchement qui a décidé de "mettre le sujet dans le camp des politiques, pour que les sages-femmes pratiquant l'accouchement à domicile puissent s'assurer à un tarif abordable", selon l'une de leurs porte-parole, Nour Guerroudj.
DES ACCOUCHEMENTS ILLÉGAUX MAIS REMBOURSÉS
Depuis 2002 et la loi Kouchner, les autorités sanitaires exigent en effet des sages-femmes qui exercent ce type d'accouchement d'être assurées. Mais la majorité d'entre elles ne l'est pas, car le coût de l'assurance est prohibitif (de 19 000 à 25 000 euros par an). La Cour des comptes a souligné dans un rapport de 2011 (.PDF) que parmi les 72 sages-femmes libérales qui déclaraient pratiquer des accouchements à domicile, seulement quatre étaient assurées. Et pour cause : leur revenu moyen cabote autour de 25 000 euros nets.
Une situation qui semble n'étonner personne, note la Cour des comptes, puisque "malgré cette absence d'assurance, l'accouchement à domicile donne lieu à l'établissement d'une feuille de soins et à remboursement par l'assurance maladie"(qui ne vérifie pas que le praticien est assuré). La Cour en déduit que l'Etat doit faire "strictement respecter l'interdiction de réaliser des accouchements à domicile programmés sans couverture assurantielle".
Résultat, au printemps dernier, le ministère a demandé au conseil national de l'Ordre des sages-femmes de faire un rappel général et d'exiger des parties concernées de la profession qu'elles transmettent leur attestation d'assurance. Une demande qui met fin à une tolérance : si elles ne veulent pas être radiées, les sages-femmes libérales vont devoir se contenter des solutions dites de "plateaux techniques", quand un hôpital leur ouvre les portes, ou des maisons de naissance, encore embryonnaires.
"L'ORDRE EST DÉSEMPARÉ"
"Depuis le 1er octobre, j'ai décidé d'arrêter, témoigne Hélène Pariente, sage-femme à Toulouse, en raison du risque qui pèse sur nous et nos familles." Le manquement à l'obligation d'assurance peut entraîner une amende de 45 000 euros et une interdiction d'exercer. Cette interdiction a déjà été prononcée il y a quatre ans à l'encontre d'une sage-femme du Sud-Ouest, traînée par des parents devant la chambre disciplinaire de l'Ordre.
Cette dernière a seulement réprimé le manquement d'assurance et opté pour une sanction symbolique, avec une suspension de quinze jours. "L'Ordre est comme nous, il est désemparé", raconte cette sage-femme sous couvert d'anonymat. "Ces quinze jours m'ont permis de prendre des vacances, essaie-t-elle de relativiser, mais ils confirment que la menace plane, et ce depuis dix ans."
"La seule solution qui me reste à offrir, ajoute Hélène Pariente,est une ouverture de plateau technique dans un établissement de l'Ariège, à une heure et demie de Toulouse." Une solution qui, vu le nombre de kilomètres et la ponction supplémentaire de 30 % des revenus par le plateau technique, n'est plus très intéressante pour la sage-femme.
PHYSIOLOGIQUE CONTRE PATHOLOGIQUE
La prime d'assurances est calquée sur celle des accouchements à risque. Ce qui n'est pas censé être le quotidien des sages-femmes pratiquant des accouchements "physiologiques" ; leur charte précise que "l'accouchement à domicile ne peut être envisagé qu'après une grossesse normale (c'est-à-dire sans pathologie telle que diabète, hypertension, toxémie, etc.) chez une femme en bonne santé (...) Les circonstances de la naissance doivent être physiologiques et ne pas présenter de risque majoré de complication (siège, gémellaire)".
"Il faut également que la mère soit inscrite dans une maternité et ait rencontré l'anésthésiste, ajoute Sidonie Le Poul-Petit, sage-femme en Seine-Saint-Denis. On évalue aussi les distances, en incluant les possibles encombrements en région parisienne." Sur la trentaine d'accouchements qu'elle pratique à domicile chaque année, environ un quart est dirigé vers une maternité.
Des précautions qui ne suffisent pas aux assurances et aux mutuelles. "On n'a pas de statistiques robustes sur le risque que représente la sélection des mères par les sages-femmes : on n'est jamais à l'abri d'une souffrance foetale, estime Nicolas Gombault, directeur du risque médical et de la protection juridique de la MACSF (Mutuelle d'assurances du corps de santé français). C'est pour cela que le Bureau central des tarifications[saisi par les sages-femmes face à l'absence de proposition assurantielle], où j'ai siégé, a choisi d'aligner la prime sur celle des obstétriciens qui s'occupent d'accouchements pathologiques."
"L'activité des sages-femmes est une activité risquée au regard du nombre de sinistres constatés par l'autorité de contrôle prudentiel dans son dernier rapport transmis aux ministres chargés de l'économie et de la sécurité sociale en décembre 2010 et portant sur l'exercice 2009, c'est pourquoi le niveau des primes est élevé et l'est d'autant plus pour les sages femmes pratiquant des accouchements à domicile", avait déjà répondu en 2011 le ministère à une question écrite du député socialiste François Brottes.
PLUS DE 25 000 SIGNATURES
Et aucune possibilité de contourner le système si l'on en croit Catherine Leroy, sage-femme en Normandie : "J'ai tenté de souscrire une assurance en Belgique, où la prime coûte moins de 1 000 euros, mais mon dossier a été refusé. Comme si les assureurs s'étaient passés le mot..."
Le tarif de remboursement par la Sécurité sociale est quant à lui de 313,60 euros. Les sages-femmes réclament en général entre 500 à 1 000 euros de dépassement d'honoraires, un forfait qui comprend un accompagnement personnalisé avant et après l'accouchement.
"Certes, on est une minorité", reconnaît Valentine Vinzia, auxiliaire de puériculture, qui a mis au monde ses deux derniers enfants chez elle. "Mais je préfère payer ça qu'une poussette de compétition !" "C'est cet accompagnement que je recherchais, abonde Carole Rossow, juriste et jeune accouchée "maison", à accoucher chez soi, dans l'intimité et la douceur, et non à être accouchée dans un protocole strict, avec un rythme d'usine et par des gens inconnus."
Pour les sages-femmes libérales, aujourd'hui, la solution serait que l'Etat prenne en charge une partie de cette assurance et permette ainsi que les mères qui font le choix de donner naissance chez elles ne le fassent pas seules. Un "vrai risque" si l'on en croit les forums et les blogs sur Internet. La pétition en ligne interpellant "le président de la République et son gouvernement" réunit, elle, plus de 25 000 signatures.
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