Quand les responsables politiques de ce pays ne seront plus obsédés par leur élection, quand ils cesseront de vouloir plaire à tout le monde, à commencer par des hommes qui ont des pensées pitoyables, quand ils auront le désir de gouverner, au lieu de vouloir durer, quand ils auront enfin le courage de taper sur la table et de prendre des décisions fortes car la coupe est pleine, ce sera enfin le début du changement.
Car à part quelques hommes et quelques femmes ayant une haute idée de la morale, une grande partie de la classe politique s’est encore un peu plus déportée sur la droite, banalisant les idées noires du Front national. Si on dit «vous votez pour des gens qui ont provoqué un désastre dans les années 30», ils vous répondent «parlons des problèmes d’aujourd’hui». D’accord, parlons-en.
Avec Délia, mon épouse, je dirige une petite entreprise, Romanès - cirque tzigane. Nous avons une quinzaine de salariés, nous avons deux personnes au bureau. Délia me dit : «Deux personnes pour s’occuper de la paperasse, ce n’est pas assez. Il faudrait engager une troisième personne.» Trois personnes dans un bureau pour gérer une entreprise de 15 salariés, c’est de la folie. Le cirque était la dernière activité qui fonctionnait de manière poétique. Aujourd’hui, ce n’est plus possible.
J’ai voulu que ma fille Alexandra obtienne une licence, car il faut une licence pour pouvoir faire du cirque. On me répond «est-ce qu’elle a son bac ?» Donc, il faut avoir le bac pour faire du cirque. Ma fille parle cinq langues et sait faire une dizaine de numéros et nous faisons du cirque depuis plusieurs siècles. Mais elle n’a pas le bac. J’ai répondu : «Moi, je n’ai jamais été à l’école. Mais j’ai trois recueils de poèmes chez Gallimard. Je vais en publier un quatrième, je fais de la musique baroque avec un luth et je parle quatre langues.»
Bêtise. Eric Ciotti nous dit, sourire aux lèvres et d’une voix douce, que la délinquance n’a rien à voir avec la misère. Quelle immoralité. Si ce monsieur a une femme et des enfants, je les plains. Monsieur le ministre Manuel Valls dit que nous, les Tziganes, nous ne voulons pas nous intégrer. Je lui donne cent fois raison. Nous sommes en France depuis cinq cents ans et, c’est vrai, nous ne sommes pas encore complètement intégrés. Je pose la question à tous ceux qui nous montrent du doigt. Combien y a-t-il d’hommes et de femmes dans ce pays qui sont d’accord avec ce qu’on appelle l’intégration ? Aller à l’école jusqu’à 21-22 ans, se retrouver au chômage à 50 ans, être mal logé, travailler pour un salaire de misère, être entre quatre murs dans un bureau, passer tous les jours deux heures dans les transports, des millions d’hommes et de femmes au chômage, les agriculteurs et les jeunes qui se suicident de plus en plus, les riches de plus en plus riches, les pauvres de plus en plus pauvres. Aujourd’hui, nous, les Tziganes, qu’on appelle Roms par ignorance ou par bêtise, nous ne pouvons plus voyager alors qu’une grande partie de la communauté ne veut pas sortir du nomadisme. Pour ceux qui veulent en sortir, car ils existent, la question est posée. Que veulent-ils ? Un plafond au-dessus de la tête ? Ou le ciel étoilé ?
Aujourd’hui, on ne peut plus voyager puisqu’on nous interdit de nous arrêter. Si je m’arrête près d’une rivière, à l’ombre d’un arbre, c’est interdit. Quel crime. Souvent, on me pose la question : pourquoi ne pas sortir tout simplement du nomadisme ? J’ai une réponse, je ne prétends pas avoir raison mais, dans l’univers, tout bouge.
Le président de l’Assemblée qui n’a rien de nationale, puisque des millions d’hommes et de femmes n’y sont pas représentés, Claude Bartolone, dit qu’il faut punir les femmes qui ont un enfant dans les bras et qui font la mendicité. Au lieu de dire que l’Europe a réuni une somme d’argent importante pour aider les Tziganes qui ont des projets et qui viennent de l’est européen. Où va cet argent ? Que devient-il ? Quelle immoralité, on se croirait dans les Misérables, de Victor Hugo.
Madame Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes, veut punir les hommes qui vont voir des prostituées. Qu’elle commence par supprimer la misère. Il y a à Paris, sur les boulevards extérieurs, des centaines de filles qui viennent de l’Est. Elles sont abandonnées tous les jours sur ces boulevards par des hommes qui conduisent des grosses voitures noires. Pourquoi la police n’arrête-t-elle pas ces maquereaux très visibles ? S’il suffisait d’une loi pour casser les pulsions sexuelles des hommes, ça se saurait depuis longtemps.
Inhumain. Il faudrait pouvoir expliquer qu’aussi loin qu’on remonte dans le temps, nous sommes des nomades et nous venons du nord de l’Inde, mais en Roumanie, on nous a obligés par la force à nous sédentariser. Cela n’a rien à voir avec ce que nous vivons en France. Les Roumains, qui avaient de l’humour, disaient «ces gens sont bizarres, ils mettent les chevaux dans les appartements, mais les hommes et les femmes vivent dehors.»
Dans toute la presse, on nous montre des sondages accusateurs. Ils sont faux, car très peu de gens savent ce que nous vivons dans l’est de l’Europe. Dans la famille de ma femme, deux garçons de 20 ans se sont fait tuer dans la rue. Sa cousine accouche, on lui dit «l’enfant est mort-né». Elle demande à voir l’enfant, elle ne l’a jamais vu. Il est impossible, quand on est tzigane «rom», d’obtenir un emploi. Des filles de 14 ans sont amenées de force à l’hôpital, elles sont stérilisées.
Dans l’est de l’Europe, nous sommes en train de devenir les juifs des années 30. C’est pire que ce que nous avons connu dans les régimes soi-disant communistes. On demande aux Français ce qu’ils pensent des campements misérables qui sont devant leurs maisons. Car ils sont en colère et je les comprends. Mais cette situation, c’est la France qui l’a créée. D’abord, les Tziganes qui viennent de l’Est, c’est 17 000 personnes en France, chiffre officiel. Si on enlève les femmes, les enfants, les personnes âgées, il y a 3 000 ou 4 000 hommes qui ne demandent qu’à travailler, mais la France le leur a interdit. Ils auraient fait des travaux que les Français ne veulent pas faire, mais il y a cette pensée largement répandue : si on les laisse travailler, cela fera un appel d’air, ce qui est absolument faux.
Pour ce qui est de la polémique sur le mot intégration, il aura eu le mérite, comme en temps de guerre, de faire tomber les masques. Enfin un peu de vérité. Marine Le Pen, et tous ceux qui lui font les yeux doux, et ils sont nombreux, disent pas mal de bêtises. La bêtise vient aussi de certains qui se disent spécialistes du monde tzigane.
A propos de ce qui est devenu «l’affaire Léonarda», cette jeune Tzigane de 15 ans qui vient du Kosovo et qui a été reconduite à la frontière par la police alors qu’elle vivait en France depuis cinq ans - il ne lui manquait que deux mois pour obtenir l’autorisation de rester définitivement en France -, je citerai simplement Gandhi, qui n’a jamais été un dangereux révolutionnaire : «Quand la loi n’est pas respectable, je ne la respecte pas.»
Au lieu de nous montrer du doigt et de nous accuser, les hommes et les femmes qui ont des idées noires feraient quelque chose d’intelligent en mettant à la poubelle les deux bottins que tous les habitants de ce pays ont au-dessus de la tête : code civil et code du travail. Car nous vivons dans un océan de lois. Et sans diminuer les programmes sociaux, car il y a beaucoup de pauvres dans ce pays qui va malheureusement à grande enjambée vers l’inhumain. Il faudrait que les hommes et les femmes de ce pays soient correctement informés. Qu’ils se réveillent, car le silence des pantoufles amène impitoyablement le bruit assourdissant des bottes.
Son nouveau spectacle, Voleurs de poules, sera joué dès demain au 42-44 boulevard de Reims, Paris XVIIe.
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