Désormais, dire que l'on voit le cerveau en activité ne sera plus un abus de langage. En effet, les techniques habituelles d'imagerie du cerveau complet n'utilisaient jusqu'alors pas vraiment l'arsenal habituel de l'optique : lumière, lentilles ou caméras. Ainsi, l'électroencéphalographie (EEG) enregistre des signaux électriques, et l'imagerie par résonance magnétique (IRM) mesure des perturbations électromagnétiques.
Mais plusieurs équipes ont montré récemment qu'il est enfin possible, dans le domaine visible, d'avoir accès à un cerveau complet, in vivo ou in vitro, à l'échelle d'un seul neurone et en trois dimensions. Deux d'entre elles, indépendamment, ont enregistré l'activité de dizaines de milliers de neurones d'un vertébré vivant, le poisson-zébre. Une troisième a observé la totalité du cerveau excisé d'une souris.
Ce n'est en pratique pas simple d'utiliser la lumière pour observer ces cellules. Le crâne constitue déjà un obstacle infranchissable. En outre, à cause de la diffusion de la lumière sur les lipides omniprésents dans les cellules, celle-ci ne peut guère pénétrer profondément dans la matière biologique. Des techniques de microscopie permettent de s'affranchir en partie de cette contrainte, mais elles ne sondent qu'un seul point à la fois pour quelques centaines de neurones, ce qui les rend peu utiles pour saisir les communications entre aires cérébrales. On peut aussi observer l'échantillon en 3D, mais en le découpant tranche par tranche...
TOUR DE FORCE OPTIQUE
C'est donc plusieurs tours de force qu'ont réalisés ces chercheurs. Plus précisément, les Américains de l'Institut médical Howard-Hughes (Virginie) ont photographié 80 000 neurones d'une larve de poisson-zébre, soit 80 % du cerveau, avec un cliché toutes les 1,3 seconde, comme ils l'expliquent dans
Nature Methods en ligne le 18 mars (
en video).
De leur côté, les Français de l'université Pierre-et-Marie-Curie, de l'Ecole normale supérieure, du CNRS et de l'Inserm se sont limités à 30 % de ce cerveau. Mais avec des images toutes les 200 millisecondes, ce qui permet d'étudier la dynamique des processus cérébraux, comme ils l'exposent dans le journal
Frontiers in Neural Circuits du 9 avril.
Les techniques sont identiques même si elles portent des noms différents. Il s'agit d'exciter par une lumière laser bleue des molécules fluorescentes qui réagissent à l'arrivée de calcium dans les neurones à la suite d'une décharge nerveuse. La lumière émise est recueillie dans l'objectif d'une caméra. En fait, seul un plan de quelque 5 micromètres d'épaisseur, contenant environ 5 000 neurones, est éclairé par le laser, le microscope observant à 90 degrés la fluorescence. Le poisson, piégé dans un gel, est automatiquement déplacé afin d'éclairer une nouvelle tranche, et ainsi de suite. Ces "découpages" virtuels sont ensuite rassemblés pour former l'image tridimensionnelle du cerveau.
"Ce n'est pas un exploit, mais il fallait avoir l'idée d'associer deux techniques, celle des sondes calciques et celle dite des nappes de lumière", assure modestement Georges Debrégeas, de l'université Pierre-et-Marie-Curie. "Ce principe d'imagerie remonte à 1903, et il a été redécouvert en 2004 pour suivre le développement de l'embryon du poisson-zèbre", rappelle Emmanuel Beaurepaire, du Laboratoire optique et biosciences à l'Ecole polytechnique, spécialiste de ce genre de microscopie.
Alors que l'IRM ne repère que des zones d'une centaine de neurones, ici, chaque neurone peut être identifié et son activité corrélée à celle de ses voisins. L'inconvénient est que cette imagerie ne fonctionne que sur des cerveaux de petite taille - que la lumière peut entièrement pénétrer - et transparents.
UN CERVEAU TRANSPARENT
C'est ce problème qu'une troisième équipe a résolu aux Etats-Unis. Dans
Nature du 11 avril, Karl Deisseroth explique comment il a rendu un cerveau de souris transparent au point d'identifier chaque neurone, même les plus profondément enfouis.
"Cette idée peut révolutionner la capacité à voir de gros volumes. La méthode est élégante et inventive", déclare Jean Livet, de l'Institut de la vision, à Paris. L'idée générale, brevetée, est d'ôter les lipides qui rendent opaque le cerveau. Mais comme les lipides constituent les membranes des cellules, cela détruit généralement la structure qu'on cherche à voir. Les chercheurs ont donc d'abord figé cet échafaudage en injectant de l'acrylamide, qui, après chauffage, forme un gel polymère protecteur. Un détergent détruit alors les lipides tout en préservant les synapses, les axones ou même l'ADN (seules 8 % des protéines sont perdues). La suite est plus classique, qui consiste à utiliser des molécules fluorescentes et à les photographier, y compris par la technique des nappes de lumière.
"Ces techniques pourraient permettre de connaître l'architecture du réseau de neurones. Soit de manière fonctionnelle dans des cerveaux vivants, comme nous le faisons, soit de manière structurelle, dans les cerveaux excisés, comme chez Deisseroth", explique Georges Debrégeas. Il devient en effet possible de voir pour la première fois quel neurone est connecté à quel autre, comment se forment les unités fonctionnelles de quelques neurones, comment celles-ci s'agrègent ensuite. Ou comment le réseau évolue au cours du développement, du conditionnement... Les deux équipes sur le poisson-zèbre vont maintenant stimuler leur cobaye pour comprendre, en observant ces milliers de petits points lumineux, comment l'information sensorielle se propage à travers le cerveau.
Quant à la recette rendant le cerveau transparent, elle est la seule à pouvoir fournir une carte complète pour les gros cerveaux. Idéal pour mieux interpréter les enregistrements d'activités cérébrales ou pour améliorer les techniques dites optogénétiques, qui permettent de contrôler l'activité des neurones par la lumière et dont Karl Deisseroth est justement le pionnier.
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