L’égalité à mauvaise école
15 avril 2013
XX -XY. Pour en finir avec les stéréotypes, l’Education nationale lance un dispositif expérimental.
Des filles qui travaillent bien à l’école, mais qui manquent d’ambition et qui rêvent de devenir coiffeuses ou maîtresses plutôt que menuisières ou astronomes. Des garçons souvent à la traîne, mais à qui on pardonne volontiers parce qu’il faut bien qu’ils s’agitent. Et, lorsqu’ils réussissent, ce sont eux qui visent les filières les plus prestigieuses - prépas scientifiques, grandes écoles d’ingénieurs… En matière d’égalité filles-garçons et de lutte contre les stéréotypes, l’Education nationale peut franchement mieux faire. Consciente de ses manques, elle assure vouloir enfin passer aux actes.
Dès cette rentrée, le ministère de Vincent Peillon, en collaboration avec celui de sa collègue aux Droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem, lance un dispositif baptisé «les ABCD de l’égalité» dans dix académies. Au minimum, 500 classes de primaire seront concernées, c’est-à-dire plusieurs milliers d’élèves, et ce dès la maternelle. L’idée est de combattre les clichés et les comportements sexistes qui se développent dès le plus jeune âge, et que l’école ne fait que conforter - petits garçons jouant au foot dans la cour de récré pendant que les filles papotent dans leur coin, les premiers faisant les malins dans la classe tandis que les secondes jouent aux petites filles modèles au premier rang, etc.
Un manque de mixité
Pour les sensibiliser au problème, les inspecteurs de l’Education et les enseignant(e)s vont recevoir une formation. Du matériel pédagogique va leur être distribué pour les aider à repérer les attitudes «genrées» des élèves, mais aussi leurs propres comportements : des annotations différentes selon le sexe («A des capacités, peut mieux faire» pour les garçons, «Fait son possible» pour les filles), un manque de mixité dans le placement des élèves en classe, ou encore la parole inégalement donnée avec un avantage pour les garçons.
Une dizaine de cours au total sont aussi prévus, de la maternelle au CM2. Par exemple, dans le cadre de l’histoire de l’art, le prof pourrait prendre un tableau ancien montrant deux enfants de sexes différents habillés et coiffés pareil pour aborder le rôle de l’éducation.
Les ABCD de l'égalité
«La formation des enseignantes est au centre du dispositif, souligne Patrick Bacry, de la Mission égalité filles-garçons de l’académie de Créteil, l’une des dix pionnières qui vont expérimenter les ABCD de l’égalité. Il ne s’agit surtout pas d’en faire des boucs émissaires. Mais c’est un problème sociétal qui les touche aussi. Même s’ils font de leur mieux, de façon tout à fait inconsciente, ils peuvent avoir des comportements nourrissant des stéréotypes ou les laissant s’exprimer. A tous les niveaux, des inspecteurs jusqu’aux élèves eux-mêmes, il faut encourager une prise de conscience.»
L’expérience va être évaluée au printemps 2014. Si elle se révèle concluante, elle sera étendue à la rentrée suivante à d’autres académies et progressivement généralisée. Le ministère de l’Education ne veut surtout pas brusquer les choses, au risque de braquer des enseignant(e)s souvent fatigué(e)s de voir se succéder les réformes et se multiplier leurs missions. «Ils auront déjà beaucoup de nouveau à la rentrée, souligne-t-on rue de Grenelle, une partie des écoles va notamment passer aux quatre jours et demi.» Après des siècles de traitement différencié, il serait pourtant grand temps que les 6,7 millions d’écolier(e)s jouent à égalité.
11 %
C’est la proportion de filles qui, en 2011, sont arrivées en sixième avec au moins un an de retard, contre 14 % de garçons. Le fait est désormais avéré, en France et dans de nombreux autres pays : les filles sont meilleures que les garçons à l’école. Et, logiquement, elles redoublent moins. Plus appliquées, plus studieuses, elles affichent de meilleurs résultats tout au long de leur scolarité, avec des taux de réussite supérieurs au brevet, au bac, davantage de mentions «bien» et «très bien», notamment en S (scientifique). C’est en français que l’écart est le plus important alors qu’en maths, les niveaux se valent. Les experts avancent plusieurs explications, généralement d’ordre culturel. Les filles seraient éduquées à être plus obéissantes et plus dociles, voire soumises. Adeptes de jeux plus calmes, elles lisent aussi davantage. Chez les garçons, le côté indiscipliné et bagarreur serait volontiers valorisé, et même considéré comme un trait de caractère viril.
94%
C’est la proportion de filles qui, dans la voie professionnelle, ont choisi en 2011 la spécialité «coiffure, esthétique et autres services aux personnes». Elles sont aussi 92 % en «secrétariat, bureautique» et 91 % en «spécialités sanitaires et sociales». Les garçons, eux, n’ont pas peur de mettre les mains dans le cambouis, ou plutôt dans l’huile de moteur, ni de grimper sur les toits. Ils sont ainsi 99 % en «bâtiment : construction et couverture», autant en «énergie, génie climatique» (pour travailler dans la chaîne du froid) et 98 % en «mécanique, électricité, électronique». Soixante-quatre ans après la parution du Deuxième Sexe, le manifeste féministe de Simone de Beauvoir, les clichés ont donc la vie dure, et les représentations des métiers restent extrêmement sexuées. Pourtant, les professions manuelles ont beaucoup évolué. Avec la sophistication des machines et, surtout, l’arrivée de l’informatique, il n’y a plus besoin d’être une baraque pour travailler le métal et fabriquer des pièces d’usine. De même, les ateliers ne sont plus aussi bruyants et sales. Mais les filles préfèrent toujours devenir manucures…
52 500
C’est le nombre de lycéennes inscrites en terminale L en 2011, soit 79 % du total. Depuis quelques années, la série littéraire est en perte de vitesse. Dans la voie générale, elle est même devenue le troisième choix après S et ES (économique et sociale). On peut se demander s’il n’y a pas un lien entre la féminisation accélérée de la série L et sa dévalorisation. Comme les métiers qui, en se féminisant, perdent de leur prestige et voient leurs salaires inexorablement baisser. Preuve que les choix d’orientation sont aussi «genrés», les garçons sont majoritaires en S, dans les lycées professionnels, notamment dans les spécialités industrielles, dans les CFA (centres de formation des apprentis) ou encore dans les formations d’ingénieurs. Dans la voie technologique, ils sont près de 90 % en sciences et technologies industrielles (récemment devenues sciences et technologies de l’industrie et du développement durable ou STI2D, qui attire encore plus de garçons…).
8
Lorsque les garçons estiment qu’ils sont très bons en maths, ils sont 8 sur 10 à choisir la filière S. Dans le même cas, seules 6 filles sur 10 optent pour S, considérée comme la «voie royale» ouvrant à tous les possibles après le bac. Ceci est interprété comme un manque d’ambition ou de confiance en soi. C’est également la preuve que, très tôt, les adolescents ont des représentations «genrées». Les maths sont perçues comme une discipline «masculine», précise et aride. La littérature serait plus «féminine», avec sa dimension romanesque et imaginative. On se souvient de la campagne de recrutement de l’ex-ministre de l’Education Luc Chatel avec des affiches montrant une jeune prof lisant un livre, l’air doux et rêveur, et un jeune enseignant à l’allure autrement plus décidée. Sans surprise, lorsque les garçons se jugent très bons en français, seul 1 sur 10 va en L, contre 3 filles sur 10.
16%
C’est la part de garçons entrés en sixième en 1995 à avoir quitté, à 16 ans et sans aucun diplôme, le système éducatif à l’issue de la scolarité obligatoire. Les filles ne sont que 9,5 % dans ce cas. Si l’on ajoute tous ceux qui partent avec seulement le brevet en poche, ces pourcentages montent respectivement à 22 % et 13 %. Les «décrocheurs», qui quittent l’école avec au mieux le brevet, sont estimés entre 120 000 et 150 000 chaque année. Parmi eux, les garçons sont nettement majoritaires. Là encore, le phénomène n’est pas propre à la France. La plupart des pays concernés s’inquiètent : comment faire mieux réussir les garçons à l’école ? Si l’on veut lutter contre le décrochage scolaire, avec tous ces jeunes voués ensuite au chômage et à la précarité, il est indispensable de résoudre l’échec masculin.
46%
Soit près de la moitié des filles, ont un diplôme d’enseignement supérieur, loin devant les garçons, qui ne sont que 37 %. Mais avant de crier victoire, il faut y regarder de plus près : plus le diplôme est élevé, plus la domination féminine s’étiole. Souvent majoritaires en licence, les étudiantes se retrouvent minoritaires au niveau doctorat. Par exemple, en 2010, elles représentaient 68 % des licenciés en droit et en sciences politiques, mais elles n’étaient plus que 44 % parmi les docteurs. En lettres, langues et sciences humaines, elles restent majoritaires, mais partaient de très haut : de 76 % de licenciées, on est passé à 57 % de docteures.
Sources : Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (ministère de l’Education nationale)
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