Et si le Cerveau Humain devenait la prochaine manette de Jeu Vidéo ?
Le jeu vidéo, longtemps méprisé par une certaine élite artistique, a totalement renversé la situation en l’espace de quelques années. Mais quid de la manière de jouer ? Scénarios d’évolution possible.
Le jeu vidéo, longtemps méprisé par une certaine élite artistique, a totalement renversé la situation en l’espace de quelques années. Il est passé du statut de distraction plus ou moins avouable, à celui de divertissement populaire reconnu pour son sens de l’art et du storytelling. De la borne d’arcade à la Xbox 720, du gameplay de Space War (MIT) au chef-d’œuvre Journey, tout ou presque a évolué pour s’adapter aux usagers du 21ème siècle.
Toutefois, une composante est restée identique depuis 1962, il s’agit de notre manière de jouer. De la console de salon, au smartphone en passant par l’ordinateur, chaque interaction passe par nos doigts. Il aura fallu attendre l’émergence de périphériques comme EyeToy et plus récemment Kinect pour voir évoluer cette composante majeure.
Ces objets intelligents permettent désormais de contrôler nos jeux vidéo sans utiliser de manette. Une révolution qui trouve d’ailleurs son application bien au-delà du divertissement, puisque les médecins, les militaires, mais aussi les publicitaires se la sont accaparés.
Le bouleversement de l’éco-système vidéoludique
Significatif, le renouveau des interfaces instituées par Kinect n’est qu’un avant-goût de ce qui nous attend. Ainsi, l’expérience utilisateur pourrait bientôt se tourner vers de nouvelles interfaces qui nous font tous rêver, mais que nous n’aurions pu imaginer voir appliqués concrètement un jour. Il s’agit des très sérieuses BCI (Brain Computers Interfaces).
En effet, qui n’a jamais rêvé d’agir directement par l’esprit ? Chose impossible jusqu’ici, cette pratique se développe de manière plus ou moins efficace dans quelques secteurs d’activité. Nous pensons en premier lieu aux constructeurs de matériel biomédical. Ensuite, aux développeurs de logiciels mais aussi de jeux vidéo, légitimes, puisqu’ayant également un pied dans tout ce qui concerne la construction d’interfaces…
Les initiatives se multiplient à l’image de OpenVibe2, soutenu par l’Agence nationale de la recherche(ANR) et dont les résultats ont été présentés en janvier dernier. Il existe même des casques dédiés, appelés EEG, tels que le NeuroHeadSet d’Emotiv ou encore le MindWave de NeuroSky qui comporte bien moins d’électrodes que le précédent mais qui est aussi moins cher (comptez quelques centaines d’euros).
A l’image d’un smartphone, ces terminaux EEG offrent un accès à un catalogue d’applications pour multiplier les expérimentations entre cerveaux et machines. Il est déjà possible de télécharger des applications directement sur les sites internet des fabricants (Emotiv ou NeuroSky) ou bien sur des sites internet de concepteurs de logiciels compatibles avec ces BCI.
Aussi, avoir des BCI « qui fonctionnent » reviendrait à « naturaliser » l’interaction. C’est-à-dire une interaction plus directe, qui ne nécessite plus de « métaphores » (cf. Don Norman et les notions de distances sémantiques et articulatoires).
Enfin, pour intégrer les BCI dans un système, et véritablement gérer l’interaction, il faut des spécialistes d’ergonomie cognitive, et plus généralement des experts en conception d’IHM (Interactions homme-machine).
Pour Olivier Dufor et Gilles Coppin de Telecom Bretagne, cette (r)évolution n’est pas envisageable à court terme mais permettra certainement un jour de concrétiser nos fantasmes les plus fous. «Imaginez votre avatar agissant selon votre état mental réel. Il n’entre en mode combat que si vous-même y êtes disposé voire vous ne pourriez pas combattre proprement si votre cerveau est ailleurs et ce, même si vous connaissez tous les combos du jeu. Cela ressemble aux jeux de rôle actuels ; le joueur devient acteur, il vit son jeu. S’il n’est pas dans de bonnes dispositions pour affronter son ennemi virtuel, peut-être choisira-t-il la fuite ou le camouflage selon son état de stress ou de calme. Le joueur aura une influence directe sur les performances de son avatar et pourra donc choisir la meilleure stratégie.»
L’avenir du jeu vidéo sera hybride, alliant tactile et ICM
Les jeux vidéo les plus vendus sont ceux qui utilisent les technologies dernier cri (Wii Sport en tête) mais pas la réalité augmentée ni la Kinect. Si nous combinions le classement des jeux les plus vendus aux jeux les plus joués par exemple alors on pourrait peut-être atteindre un jour le premier rang avec une BCI.
Pour Olivier Dufor « les BCI actuelles tout comme la Kinect ou la réalité augmentée sont loin de détrôner la Wii pour la simple et bonne raison qu’il n’y a rien de tactile dans ces techniques. La nouvelle génération intégrera certainement les interfaces cerveau-machine, mais ne pourra pas être portée par les BCI seules.» Il est certain qu’un effet de nouveauté aura lieu, mais des obstacles, éventuellement liés à la concentration intense nécessaire aux BCI, pourront constituer un frein à leur commercialisation.
La seule différence entre le tactile (avec artefact) et le mental serait à considérer par les développeurs. «Les gens aiment généralement toucher ou recueillir des sensations tactiles. Nous sommes loin d’être les Yuri du Command and Conquer » rajoute Olivier Dufor.
Prendre le temps…
Le jeu vidéo déjà controversé pour quelques affaires, non établies, de violence et de dépendance, risque de ne pas rassurer ses détracteurs avec ces nouvelles interfaces. Même si rien ne permet de dire aujourd’hui que cette approche pourrait être nuisible pour la santé, la recherche se poursuit et se développe, quant aux effets indésirables, avant qu’une commercialisation n’ait lieu. En attendant, le principe de précaution doit gouverner. «Il faut aussi permettre au débat éthique de progresser concernant les recherches et les outils d’imagerie en France ». Or c’est un processus qui prend un certain temps. «Aujourd’hui, tout matériel d’imagerie est vendu aux laboratoires de recherche avec une notice de sécurité. Ces notices décrivent les risques d’utilisation de ces techniques. Elles intéressent fortement les comités de protection des personnes (CPP) qui évaluent la balance risques / bénéfices de nos études (du moins pour celles qui sont biomédicales) et nous obligent à informer les participants sur les risques induits par nos études.» La loi Jardé votée en mars 2012 indique que si une recherche n’a pas un objectif biomédical (c’est-à-dire qui vise à améliorer la santé ou la prise en charge d’un patient), mais qu’elle fait intervenir l’utilisation d’un matériel pouvant entrainer un risque supérieur à négligeable, celle-ci doit être soumise à l’approbation d’un CPP.
Pour Olivier Dufor, la question est : quel niveau de risque induit par un matériel donné peut être considéré comme négligeable ? Il est écrit qu’une liste « fixée par décret en Conseil d’État » venant compléter les produits mentionnés à l’article L. 5311-1 fait état de produits ne comportant que des risques négligeables et n’ayant aucune influence sur la prise en charge médicale de la personne qui se prête à nos recherches. Celles-ci peuvent donc être réalisées sans examen médical préalable. Qu’en sera-t-il de l’utilisation de ces mêmes outils par le grand public ?
Pour conclure des spécialistes de l’accompagnement d’introduction de nouvelles technologies dans la société ne seraient pas inutiles. C’est d’ailleurs une chose qui fait encore défaut dans le développement de beaucoup d’appareils utilisés en société. L’apparition des premières consoles portatives dans le bus ou dans les cours de récréation ont rapidement fait passer leurs détenteurs pour des personnes asociales, déconnectées de la réalité ou pire… Autre exemple ; qui n’a jamais été troublé à la vue d’un passant s’exprimant seul à haute voix dans la rue avant de comprendre qu’il parle à son oreillette Bluetooth ? Alors que dirons-nous lorsque nous croiserons quelqu’un dans la rue avec un casque futuriste sur la tête possiblement arnaché de lunettes Google et tenant dans la main une manette de Wii ?
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