Le Monde Blogs 12 juin 2016
© Julien Magne.
L’expérience n’est pas récente, elle fête même ses vingt ans cette année. Mais elle a toujours de quoi fasciner, notamment ceux qui, comme moi, font profession d’écrire, de vivre des mots. Elle montre leur force ; non pas leur force de persuasion, leur capacité à blesser ou à émouvoir, mais une force brute qui agit, sans qu’on s’en aperçoive, sur le physique. L’expérience en question est nichée dans une longue étude publiée en 1996 par le Journal of Personality and Social Psychology. Signé par trois chercheurs de l’université de New York, cet article veut montrer que l’activation, par les mots, de stéréotypes ancrés dans nos cerveaux déclenche inconsciemment des comportements.
Comme c’est souvent le cas en psychologie, l’expérience cache ce qu’elle veut tester pour que les “cobayes” ne se doutent de rien. Ceux-ci (30 étudiants) sont donc invités, dans le cadre d’un pseudo-exercice de vocabulaire, à construire des phrases à partir de mots fournis par l’expérimentateur. Un groupe-témoin se voit présenter des mots neutres tandis que le groupe véritablement testé travaille avec des mots liés au stéréotype américain des personnes âgées (par exemple : vieux, solitaire, Floride, bingo, gris, courtois, rigide, sage, sentimental, retraité, etc.), tout en évitant soigneusement les mots évoquant la lenteur, pour une raison que l’on verra après. Chaque participant reçoit 30 jeux de 5 mots et doit, pour chacun d’entre eux, rédiger une phrase grammaticalement correcte avec 4 des 5 mots fournis. Une fois qu’il y est parvenu, il prévient l’examinateur qui lui indique le chemin à prendre pour rejoindre l’ascenseur et quitter l’immeuble.