Par Abel Mestre Publié le 24 aout 2023
Dans des établissements souvent surpeuplés et inadaptés, les fortes chaleurs sont particulièrement difficiles à supporter, pour les détenus comme pour les surveillants.
Ce sont des endroits où la température ressentie est invivable. En prison, les effets de la canicule tardive que connaît une partie de la France sont démultipliés. Dans une situation de surpopulation carcérale endémique, l’ambiance étouffante ne fait qu’empirer le quotidien des détenus et des surveillants. Il faut ajouter à cela l’obsolescence de certains bâtiments : même si un plan de construction de 18 000 nouvelles places de prison est en cours ainsi qu’un plan de rénovation, beaucoup d’établissements sont vétustes, et n’ont pas été pensés pour de fortes chaleurs. Les cours de promenade sont minérales, pratiquement sans ombre ; dans les cellules, les fenêtres sont obstruées par des caillebotis et il est quasi impossible de faire des courants d’air. Dans les coursives, l’atmosphère est tout aussi irrespirable.
« Toutes les prisons du Sud sont concernées. Il n’y a pas de douches en cellule, pas assez de surveillants. Dans certaines prisons que j’ai visitées, on avait l’impression que le sol de la cour de promenade était sur le point de bouillir,raconte Dominique Simonnot, la contrôleuse générale des lieux de privation liberté. Imaginez être enfermé 21 heures sur 24 à trois dans une cellule – donc avec un matelas au sol – par ces températures… »
Normalement, en été, en raison des vacances judiciaires, le nombre de détenus baisse. Mais cette année, ce n’est pas le cas. Tous les personnels interrogés évoquent un « effet plateau » avec un nombre stable de détenus. Ce qui, dans ces périodes de fortes chaleurs, aggrave la situation. Si la surpopulation carcérale touche l’ensemble du pays – au 1er juillet, le nombre de détenus a atteint un nouveau record en France, avec un total de 74 513 personnes incarcérées, soit 2 500 détenus de plus qu’un an auparavant ; en août ce chiffre a légèrement baissé, pour retomber à 73 700 pour un peu plus de 60 000 places opérationnelles –, la canicule concerne plus particulièrement les établissements du sud du pays. Bordeaux-Gradignan (Gironde) est de ceux-là.
Situation explosive
L’établissement inaugurera un nouveau bâtiment flambant neuf en 2024. Mais, en attendant, le personnel se trouve face à une situation explosive : en sous-effectif (le plan de recrutement lancé par le ministère de la justice n’a pas encore produit ses effets), il doit s’occuper d’un établissement vétuste qui connaît un taux de surpopulation extrême : 80 matelas au sol ont été comptés mercredi 23 août, et le taux d’occupation de la prison était de 216 % la semaine précédente.
La prison est également gangrenée par le trafic de drogue. Une livraison par drone de près de 500 grammes de haschisch a ainsi été interceptée dans la nuit du vendredi 18 au samedi 19 août. « La canicule est l’élément supplémentaire dans une situation catastrophique, résume Ronan Roudaut, secrétaire local de l’UFAP-UNSA Justice. La chaleur excite tout le monde. » Le syndicaliste décrit une situation fortement dégradée, de très mauvaises conditions de travail, des « cours de promenade laissées sans surveillance », la drogue omniprésente. Cette crise n’est pas nouvelle. En mai, le « stop écrou », mécanisme permettant de refuser de nouveaux détenus, avait été mis en place à Bordeaux-Gradignan. Une mesure exceptionnelle, preuve de la tension dans l’établissement. Contactée, la direction n’a pas donné suite à nos demandes d’entretien.
Pour lutter contre la chaleur, tous les moyens sont bons pour les détenus. Le plus simple, c’est de « cantiner » un ventilateur. Des crèmes solaires ou des chapeaux peuvent aussi être achetés. Parfois ils placent des bouteilles congelées devant un ventilateur pour créer une sorte de climatisation.
A la maison d’arrêt de Perpignan, « il y a 67 matelas au sol. C’est horrible. C’est une promiscuité indigne, on ne peut pas marcher par terre. Il fait très vite très très chaud. Les détenus peuvent mouiller des serviettes et les mettre devant la fenêtre pour rafraîchir un peu l’air. Quand ils n’ont pas de douche en cellule, ils utilisent l’eau de leur lavabo », explique Gérard Taillefer, du syndicat FO-Justice. Ici, la température a dépassé les 40 °C ressentis pendant plusieurs jours. La nuit il faisait jusqu’à 31 °C.
Le personnel de la prison souffre également de la chaleur. Les coursives sont peu ventilées, et l’uniforme tient très chaud.« Je plains de tout mon cœur les surveillants », compatit ainsi Dominique Simonnot. Les premiers concernés confirment. « Les conditions sont très dures. C’est infernal. Mon syndicat [FO-Justice] a négocié l’achat de tee-shirts en coton à la place des polos, mais cela reste très difficile. Le gilet pare-lame tient très chaud », explique Sabrina Bajja, qui travaille à Béziers (Hérault).
« Pas de courant d’air, pas de douche »
« A Nîmes, chez les hommes, nous avons 317 hébergés pour 151 places, soit un taux de 216 % d’occupation. Il y a 51 matelas au sol. La chaleur extrême est très difficile pour les personnels, mais encore plus pour les détenus. Le soleil tape, il n’y a pas de courants d’air, pas de douches en cellule. Comme les nuits sont très chaudes, les détenus ne se reposent pas. C’est un cercle vicieux, expose quant à elle Mathilde Carillo, représentante de l’UFAP-UNSA Justice. Dans la cour, ce n’est que du béton. Mais il y a des douches. Toute la promenade [entre quarante et cinquante personnes] y va. »
Mme Carillo a bien une idée pour désengorger les établissements les plus critiques : « Nous avons des prisons en France qui ne sont absolument pas surpeuplées, et il faut réussir à les combler avec des détenus provenant d’établissements surencombrés, comme Nîmes. Nous avons beaucoup de personnes sans permis de visite ou sans famille, ou encore des étrangers, et ces personnes-là doivent exécuter leur peine dans d’autres établissements. Cela aurait des conséquences très bénéfiques pour tous. »
Du côté de la chancellerie, on met en avant le plan canicule. « Une prise en charge renforcée des publics spécifiques est assurée, notamment en lien avec les médecins et infirmiers des unités sanitaires, au regard de leur fragilité ou vulnérabilité liée à leur âge (détenus de plus de 60 ans, mineurs), à la maladie, à un handicap, à leur état de grossesse ; ainsi qu’aux personnes sans ressources », assure l’administration pénitentiaire. Et de citer quelques exemples : « Le rafraîchissement des locaux est assuré en aérant les bâtiments de vie, de travail et les locaux de parloirs ; et il est procédé lorsque cela est possible à l’arrosage des sols, murs et façades extérieures de tout ou partie des détentions. En fonction des emplois du temps de journée et de la configuration des locaux, les personnels veillent à favoriser l’accès à la douche pour les personnes détenues au-delà du nombre de douches hebdomadaires prévu par la réglementation. »
Par ailleurs, l’installation sur les terrains de sport ou les promenades de systèmes de brumisateurs fixes est envisagée « dès lors que les aménagements sont rendus possibles ». L’accent est également mis sur la prévention des risques en informant au mieux les détenus par des « affichettes » ou des « brochures » ; l’accès à un point d’eau pour les détenus doit être garanti ; les horaires de promenade peuvent être décalés et leur durée allongée.
Enfin, l’administration pénitentiaire assure que la problématique des fortes chaleurs est prise en compte aussi bien dans les plans de rénovation des structures existantes que dans les projets de nouveaux bâtiments. Mais, en attendant, il faudra encore bricoler. Et parer au plus urgent.
Comme c’est toujours le cas en été, le chiffre total des détenus est en légère baisse au 1er août, mais dans une proportion moindre que les années précédentes. Ils étaient 73 700 pour un peu plus de 60 000 places opérationnelles, soit une baisse de 813 personnes en un mois. Le taux d’occupation s’élève à 122 % au global, et monte à 143 % en maison d’arrêt. Plusieurs établissements comme Tulle, Nîmes, La Roche-sur-Yon, Carcassonne et Foix dépassent les 200 % de taux d’occupation.
Pour lutter contre cette surpopulation, le gouvernement mise d’abord sur les peines autres que l’emprisonnement comme le travail d’intérêt général, mais également sur un vaste plan de construction de 18 000 nouvelles places de prison, ainsi que sur la rénovation de certains bâtiments.
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