Publié le 20 août 2023
TRIBUNE
Luc Broussy
Le gouvernement ne semble pas avoir pris la mesure du défi que représente l’explosion à venir du nombre de personnes âgées de plus de 75 ans, estime Luc Broussy, responsable du cercle de réflexion Matières grises, dans une tribune au « Monde ». Il prône des investissements massifs.
« Notre maison brûle et nous regardons ailleurs », s’exclamait Jacques Chirac au Sommet de la Terre à Johannesburg, en 2002. Vingt ans plus tard, il serait tout aussi légitime d’ajouter : « Notre maison vieillit et nous regardons ailleurs », tant la certitude du réchauffement climatique n’a d’égale que l’inéluctabilité du vieillissement de la population.
S’il est impossible de prévoir le niveau des taux d’intérêt à six mois ou la météo à huit jours, on connaît en revanche à la virgule près le nombre de personnes qui seront âgées de 85 ans et plus en 2050. Et pour cause : les baby-boomeurs nés entre 1945 et 1965 sont potentiellement les nonagénaires des années 2035-2055.
Mais tous les « vieux » ne le seront pas au même moment et dans les mêmes conditions. Alors que le nombre de « 85 ans et plus » stagne peu ou prou entre 2020 et 2030, il succédera à cette étape de plaine une véritable « Alpe-d’Huez » démographique, puisque les « 85 ans et plus » passeront brutalement entre 2030 et 2050 de 2,5 millions à 4,8 millions – soit une hausse de + 85 % en vingt ans. Du jamais-vu dans l’histoire humaine !
D’autant que durant l’actuelle décennie 2020-2030, un autre défi se joue : celui de l’explosion des « 75-84 ans », dont le nombre va croître de 4 millions à 6 millions d’ici à 2030 (+ 50 %). Là encore, un phénomène tout à fait inédit dans son ampleur.
A ces deux périodes – avant et après 2030 – et à ces deux phénomènes démographiques – explosion du nombre des « 75-84 ans », puis des « 85 ans et plus » – correspondent deux types de politiques publiques.
Horizon 2030
La première consiste à permettre aux « 75-84 ans » de conserver le plus longtemps possible leur autonomie en bénéficiant d’un logement adapté (10 000 seniors meurent chaque année de chutes domestiques, d’où la bonne nouvelle du lancement en janvier 2024 de MaPrimeAdapt’), en sauvegardant des liens sociaux (500 000 personnes âgées vivent dans une situation d’isolement et de « mort sociale »), en évoluant dans un environnement urbain bienveillant (transports et mobilier urbain adaptés, voirie sécurisée, accès aux commerces, aux résidences seniors ou à un habitat inclusif…).
La seconde nécessite d’anticiper à l’horizon 2030 les solutions permettant de faire face aux défis de la dépendance : création d’établissements et de services, embauche de personnels supplémentaires, meilleure solvabilisation des bénéficiaires et des aidants… Dans ce domaine, une loi de programmation – que le député (Parti socialiste) Jérôme Guedj a proposée récemment à l’Assemblée nationale avec le soutien du gouvernement – permettrait un travail prospectif et transpartisan.
Ajoutons un constat sociologique à ce constat démographique : les personnes qui auront 85 ans en 2030 avaient 23 ans en mai 1968. Autant dire que cette nouvelle génération de seniors ne s’en laissera pas conter. Elle voudra maîtriser son vieillissement et refusera qu’on lui impose des solutions standardisées. La génération qui s’est trouvée comme slogan « Le bonheur si je veux » nous criera demain : « L’Ehpad si je veux ! »
Or, face à ce défi majeur, tous les gouvernements depuis quarante ans sont apparus comme une poule face à un couteau, partagés entre sidération et désinvolture. Et Emmanuel Macron n’a hélas pas fait exception en érigeant, comme ses prédécesseurs, la procrastination en art majeur.
Promise par le président en juin 2018, la loi « grand âge » a depuis été abandonnée. Lancé en octobre 2022, un Conseil national de la refondation consacré au bien-vieillir devait se conclure en mai 2023 par une ambitieuse « feuille de route interministérielle » qui a fait pschitt. Engagée en avril, une (modeste) proposition de loi a depuis été reportée sine die. Et alors que Les Fossoyeurs, le livre de Victor Castanet (Fayard, 2022), dénonçait les trop faibles ratios de personnels soignants en Ehpad, la promesse présidentielle de créer 10 000 emplois par an s’est pour le moment traduite par le financement de… 3 000 emplois par an.
Le propos ici n’est pas d’accabler telle ou telle majorité. Tous les mandats ont permis des avancées : plan Alzheimer sous Sarkozy, loi d’adaptation de la société au vieillissement sous Hollande, création d’une cinquième branche de la Sécurité sociale consacrée à l’autonomie sous Macron… Mais l’enjeu commande désormais de changer de braquet.
Aurore Bergé très attendue
Voilà où se situe désormais l’immense défi d’Aurore Bergé, la nouvelle titulaire d’un ministère dont l’intitulé, malheureux symbole, ne comprend même plus les termes « autonomie » ou « personnes âgées ». Sa notoriété médiatique comme son indéniable poids politique au sein de la majorité présidentielle doivent constituer autant d’atouts pour écrire une nouvelle page.
Elle pourra, pour ce faire, s’appuyer sur ces milliers de professionnels des Ehpad ou des services à domicile, publics comme privés, qui, chaque jour, se dévouent corps et âme. Leur enthousiasme ne doit pas céder à la désespérance d’être enfin compris. Elle pourra aussi s’appuyer sur les élus locaux – maires, présidents de métropole –, de plus en plus sensibles au vieillissement de leurs habitants. Ou encore sur des acteurs économiques – de la start-up innovante aux grands groupes en passant par mutuelles et acteurs du logement… – qui forment cette filière de la silver économie qui a tant à apporter à notre pays.
On se rappelle la phrase de l’Américain James Freeman Clarke [1810-1888] : « Un politicien pense à la prochaine élection. L’homme d’Etat, à la prochaine génération. » On aimerait tant sur ce sujet pouvoir enfin compter sur des hommes – et en l’occurrence sur des femmes – d’Etat.
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