par Eric Favereau publié le 30 décembre 2022
Ana Buj-Bello peut paraître un peu figée. En tout cas, la chercheuse n’aime pas trop qu’on l’enferme. Dès qu’on arrête le magnéto, elle se laisse presque aller. Elle avoue qu’elle aime marcher, qu’elle adore la musique, puis vous dit que son prénom de naissance est en fait «Anne», et que somme toute pour elle, Espagnole née en France, «la nationalité n’est qu’une question administrative».
La voilà détendue. On lui rappelle que nous l’avions rencontrée, il y a cinq ans, juste avant un Téléthon. Elle était, alors, si heureuse. Chercheuse, directrice de recherches à l’Inserm, travaillant au Généthon, ce puissant laboratoire construit grâce aux dons, elle racontait avec une joie communicative les succès impressionnants de la thérapie génique qu’elle avait mise au point pour soigner la myopathie myotubulaire. Elle nous montrait alors quelques images. Dans une vidéo, on apercevait ainsi, au bout d’un couloir, un chien amorphe qui tenait à peine sur ses jambes. Puis le même animal, quelques semaines plus tard, gambadant comme jamais, gai et courant d’un bout à l’autre du couloir. Entre les deux scènes, il y avait juste eu une injection. Dans la seringue, selon le vocabulaire médical, «un vecteur et un gène sain». Ana Buj-Bello avait un large sourire. «Cet essai ? C’est un moment exceptionnel et une étape importante pour moi qui y ai travaillé depuis plus de vingt ans.» Des essais sur l’enfant ont été lancés peu après, avec des résultats tout aussi encourageants. Aujourd’hui, elle reste confiante, solide, même si la recherche et les avancées thérapeutiques n’ont pas toujours l’allure d’un long fleuve tranquille.
«Comprendre le cerveau, c’est cela qui m’a toujours attirée, nous dit-elle. Mais ce qui m’a animée surtout, c’est d’aller vers la guérison. Il n’y a pas beaucoup de traitements dans les maladies neurologiques, et cela me frustrait.» Pour elle, tout va s’enchaîner à merveille des deux cotés des Pyrénées. De nationalité espagnole donc mais née à Paris, Ana part, à 11 ans, avec ses parents en Catalogne où elle fera ses études de médecine. Elle est brillante, décidée. Elle hésite sur la suite. Neurologue ou chercheuse en neurosciences ? La science pure ? Ou la recherche clinique ? Elle fait sa thèse en Ecosse en neurobiologie du développement, suit son mari, chimiste, en France, puis s’installe à Strasbourg dans un laboratoire très réputé sur les maladies génétiques, dirigé alors par le professeur Jean-Louis Mandel. «Il venait d’isoler, en 1996, le gène de la myopathie myotubulaire.»
Voilà une maladie génétique terrible. Certes très rare, elle touche un nouveau-né garçon sur 50 000, soit moins d’une dizaine par an en France. Mais les effets sont lourds : tous les muscles sont rapidement atteints, l’enfant doit vite être trachéotomisé, et un sur deux meurt avant 2 ans, souvent en raison d’une insuffisance respiratoire sévère. Il n’existait alors aucun traitement. «Personne ne travaillait dessus, c’était un terrain vierge. Et surtout, cela touchait les enfants. Il y avait donc beaucoup à faire», se souvient la chercheuse. Elle s’y plonge, met toute son énergie. «Je travaillais beaucoup sur les modèles et sur la compréhension. A un moment, je me suis dit que l’on n’allait pas y arriver comme ça.» C’était trop lent, tout prenait trop de temps. «C’est là que je me suis dit : “Accélérons, tentons la thérapie génique.”» Elle évoque, en parallèle, un autre souvenir : «J’ai eu la possibilité de voir un enfant atteint de cette maladie, début 2002. C’était un bébé, j’étais bouleversée, je venais d’avoir un petit garçon… Et là, c’était pour de vrai. La maladie. Je lui ai fait une promesse, à ce petit garçon. J’allais lui trouver une thérapie. Il allait pouvoir marcher. Peut-être pas lui mais d’autres…»
Ana Buj-Bello est comme ça, à se lancer des défis pour ne pas rester immobile. Elle tente une première thérapie génique par électrotransfert d’ADN dans le muscle. Sans succès. Se tourne en 2004 vers le Généthon, ce labo unique créé de toutes pièces grâce à l’argent du Téléthon. Et entre ainsi en contact avec ceux qui produisent des vecteurs, permettant le transfert génétique… «Quand on travaille au Généthon, on a un moteur fort, car on est en contact avec des familles et des enfants», lâche-t-elle.
Et là, cela prend. Les premiers résultats, publiés en 2008 avec une équipe nord-américaine, se révèlent très encourageants. Sur les chiens, pour la première fois, on note qu’après une seule injection, l’ensemble des muscles se régénèrent, voire semblent guérir complètement. Une rémission qui s’accompagne de la normalisation de la fonction respiratoire et d’une survie prolongée des chiens traités. «Et nous sommes passés aux enfants», raconte la chercheuse. Les premiers résultats suivent, presque à l’identique. Comme un miracle. Des enfants marchent, revivent. D’un coup, tout paraît possible.
On connaît la suite. Sauf que. Cette thérapie génique donne, certes, des résultats spectaculaires, mais en 2020, puis en 2021, sur les 25 traités, quatre décès vont survenir, chez des enfants qui avaient, en outre, une atteinte hépatique. «Un coup de massue», raconte la chercheuse. «On était assommés.» Il a fallu comprendre. «C’est un traitement efficace qui peut être risqué chez certains enfants, mais lesquels ? Comment déterminer les facteurs de risques ? On ne s’attendait vraiment pas à cela, cela survenait après de si bons résultats.»
La recherche clinique, comme la pierre de Sisyphe, est ainsi, fragile, délicate, toujours à remonter, avec des hauts et des bas. Quand on l’interroge sur l’état plus général de la recherche en France, Ana Buj-Bello se montre moins sévère que l’air du temps qui, lui, est assez sombre. «Il y a de l’argent, on en manque évidemment, mais on travaille.» Nullement abattue, elle réagit comme une enfant : «Mon rêve reste identique : d’une part, développer des thérapies efficaces pour plusieurs maladies neuro-musculaires, et d’autre part, que ces traitements soient accessibles. Mon rêve est là, il marche sur ses deux jambes.» Laurence Thiennot-Herment, le présidente du Téléthon, note que «c’est rare pour une chercheuse de voir concrètement et magnifiquement le résultat de sa recherche. Et Ana en parle avec beaucoup de pudeur et de sincérité».
Avec ses trois enfants, Ana n’a guère le temps de musarder. Le Covid ? «Ce qui a été dur, c’est le début du premier confinement où l’on était replié en famille, et l’on ne savait pas trop si l’on était infecté.» Depuis ? Tout a repris. Et le succès du dernier Téléthon montre que tout reste possible. Même remarcher.
1970 Naissance à Paris.
1997 Soutient sa thèse, puis devient chercheuse en neurobiologie à Strasbourg.
2014-2017 Résultats spectaculaires de thérapie génique dans la myopathie myotubulaire.
2015 Prix Outstanding New Investigator Award en récompense de ses travaux en thérapie génique et cellulaire.
2021 Essai momentanément suspendu après le décès de quatre enfants.
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