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vendredi 6 janvier 2023

«Empowerment» Femmes noires et grosses, le corps battant

par Katia Dansoko Touré et photo Emma Burlet  publié le 4 janvier 2023

Sur les réseaux sociaux, des influenceuses sont de plus en plus nombreuses à se faire les chantres du body positivisme et de l’antiracisme en affichant leur corps sans complexes. Un discours qui dénonce une double peine et qui commence à faire son chemin en librairie.

Elle persiste et signe. Dans une story Facebook postée mi-décembre, la chanteuse française Yseult s’est de nouveau affichée nue avec focus sur les plis et les vergetures de son corps. En légende : «J’aime mon corps.» Une devise qu’elle clame à l’envi tant sur les réseaux sociaux que dans les médias, au risque de s’en prendre plein la tronche dans les commentaires des internautes – «On a compris. Maintenant, il faut porter des vêtements et faire un peu de sport. Et surtout travailler au niveau du ventre et fesses»,peut-on lire sous un cliché où elle pose complètement dévêtue et de profil, posté sur Facebook en août.

Yseult a aussi illustré la pochette de son EP Noir (Naïve, 2019) avec une photo de ses bourrelets, tourné plusieurs de ses clips vidéo partiellement ou entièrement à poil (Corps en 2019 et Bad Boy en 2020). Résultat, quoi que l’on puisse penser de sa musique ou de ses malheureux coups d’éclat – elle s’en est notamment pris à une consœur du Monde en raison d’un portrait dont elle n’était pas satisfaite et avait envoyé un enregistrement de l’entretien au média «culture pop» Nylon) –, la décomplexion qu’affiche la chanteuse noire vis-à-vis de son corps gros s’apparente à une forme d’empowerment pour nombre de femmes qui peuvent, physiquement, s’identifier à elle.

«Nous avons décidé de nous montrer»

«Noire et grosse, et alors ?» semble le credo d’Yseult souvent habillée par Balmain ou Mugler et égérie de L’Oréal. «Grosse» ? Nombreuses sont les femmes à revendiquer ce qualificatif sur les réseaux sociaux, qu’elles ne considèrent pas comme péjoratif. «Yseult est comme la chanteuse et rappeuse américaine Lizzo qui, elle aussi, n’hésite pas à montrer qu’elle est fière de son apparence sur les réseaux sociaux. Ce sont des femmes noires badass, authentiques et honnêtes vis-à-vis de la relation, pas forcément évidente, qu’elles entretiennent avec leur corps», se réjouit l’influenceuse, toute aussi noire et grosse, Gaëlle Prudencio. Yseult est d’ailleurs citée par l’autrice, poétesse et militante afroféministe Kiyémis dans son livre Je suis votre pire cauchemar (Albin Michel, 2022) où elle dénonce grossophobie et misogynoir – misogynie envers les femmes noires.

Gaëlle Prudencio est depuis cinq ans à la tête d’Ibilola, une marque de vêtements «plus-size», et suivie par près de 72 000 personnes sur Instagram. A 39 ans, cette Parisienne née au Bénin est aussi l’autrice de Fière d’être moi-même (Leduc, 2021), livre où elle évoque le body positivisme qui l’a poussée à se tourner vers le blogging dès 2007, avant de créer son compte Instagram fin 2011. L’idée : encourager les femmes noires et grosses à se montrer telles qu’elles sont, en publiant des messages bienveillants et des photos d’elle posant, en tant que modèle, en tenues de jour, robes de soirée ou maillots de bain. «Le blog de Gaëlle Prudencio m’a beaucoup aidée à m’accepter», souligne d’ailleurs Kiyémis.

L’influenceuse est loin d’être la seule à louer sur les réseaux sociaux le body positivisme, qu’elle associe à la santé mentale. Maya, 39 ans, anime depuis 2017 le compte Instagram @maya.curvy qui compte 15 500 abonnés – elle est également suivie par 55 000 personnes sur TikTok. «Nous existons et il faut faire avec. Nous avons le droit de nous montrer, de nous mettre en valeur, de porter de la couleur même si notre société voudrait que la femme grosse et noire se cache», assène cette responsable service clientèle en entreprise, domiciliée en région parisienne. Maya et Gaëlle Prudencio ont un autre point commun : toutes deux pointent les Etats-Unis comme un modèle de body positivisme. C’est qu’outre-Atlantique, disent-elles, les femmes noires et grosses ne semblent pas se préoccuper de la norme de la minceur. Maya affirme qu’adolescente, ses nombreux séjours américains l’ont aidée à oublier ses complexes quand Gaëlle Prudencio explique qu’elle y a rencontré les pionnières de la mode destinée aux femmes grosses.

Double discrimination

Dominique, 36 ans, est consultante en publicité numérique et tient également un compte Instagram mode et lifestyle suivi par 14 900 personnes (@pomelokiwie), sur lequel elle poste ses looks. Elle estime que la visibilité sur les réseaux est un vecteur de changement des mentalités. «Le message que je veux faire passer auprès de ma communauté, qui est largement composée de trentenaires célibataires noires et grosses, c’est de ne pas attendre de pouvoir répondre aux standards de beauté pour vivre, explique-t-elle. Même si on est noire et grosse, on peut accéder à des espaces dans lesquels on ne s’attend pas à nous voir, que ce soit un resto branché ou un spa. Nous avons le droit de prendre de la place, nous avons droit à la parole. Aucune porte n’est fermée à part celles que l’on ferme nous-mêmes.» Selon elle, la grossophobie est exacerbée quand on est une femme noire, par le fait que nous vivons dans une société patriarcale et blanche, ce que pointe également Kiyémis dans son livre.

Je suis votre pire cauchemar analyse d’ailleurs la fétichisation dont les femmes noires et grosses peuvent faire l’objet de la part, en règle générale, d’hommes blancs. «J’évite d’ouvrir les messages privés envoyés par des hommes car ce sont souvent des dick pics [photos de pénis envoyées sur Internet, ndlr] ou alors on m’écrit : “J’aimerais bien me taper une grosse, je n’ai jamais essayé”», témoigne Maya. Gaëlle se souvient : «On m’a déjà écrit que je faisais forcément bien l’amour…» Maya reprend : «Plus jeune, sur les applis de rencontres, je me suis rendu compte que la plupart des hommes blancs qui s’adressaient à moi, voyaient dans le fait de fréquenter une femme noire et ronde, une sorte de challenge sexuel. Avec le temps, on apprend à détecter ces personnes et les réseaux sociaux nous permettent de dénoncer ces comportements pour aider d’autres femmes.»

La double discrimination dont font l’objet ces femmes se traduit encore plus durement dans la réalité, disent ces femmes. «Le body positivisme devient tendance sur Internet… En attendant, la vraie vie reste difficile à vivre», avertit Maya. Gaëlle Prudencio raconte avoir été violentée par une infirmière peu avant une opération de la thyroïde : «Comme elle ne trouvait pas de veine au niveau de main sur laquelle elle n’arrêtait pas de taper, elle a dit : “Non seulement vous ne nous aidez pas avec votre masse graisseuse mais en plus on n’y voit rien.” J’étais outrée.» Mais ces femmes rêvent-elles encore de minceur comme l’admet Kiyémis dans son livre ? «Non, répond Maya. Je n’ai pas choisi d’être grosse mais j’ai choisi d’être stylée. Je ne me bats pas avec mon corps, je n’ai jamais fait de régime, je me suis toujours connue avec ce physique.» Gaëlle Prudencio affirme pour sa part s’être «détachée de cette idée depuis longtemps, mon combat est de pouvoir faire en sorte que l’on puisse vivre dans une société au sein de laquelle on ne veut pas de nous. Et mon identité n’est pas liée à mon poids.» Et Dominique de conclure : «Ce n’est pas parce que l’on est mince que l’on est plus heureuse.»


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