Par Alice Raybaud Publié le 31 août 2022
« Premières fois » : récits de moments charnières autour du passage à l’âge adulte. Cette semaine, Méline, 28 ans, raconte sa première année comme professeure d’histoire-géo.
Au moment d’entrer dans la salle pour donner mon tout premier cours, j’étais terrorisée. Se retrouver, à peine le Capes en poche, devant une trentaine d’élèves pas beaucoup plus jeunes que moi, est alors vraiment impressionnant. C’était à la rentrée dernière, je commençais mon année d’enseignante stagiaire en histoire-géo, avec neuf heures par semaine devant des classes de seconde. Comme un clin d’œil : mon envie d’enseigner l’histoire était née chez moi justement en seconde, plusieurs années plus tôt. A l’instar de beaucoup de profs, j’ai eu un enseignant formidable qui m’a transmis la vocation. Je me souviens d’un cours sur la révolution française, où tout le monde avait posé son stylo buvant ses paroles, et où je m’étais dit : je veux absolument faire ça.
En fac d’histoire-géo, ma passion n’a fait que croître et, à l’issue d’un master, j’ai décidé de m’inscrire à une année de prépa pour passer l’agrégation. Une année très lourde et épuisante, au cours de laquelle je préparais en parallèle le concours du Capes… Et qui s’est soldée par deux échecs. L’année suivante, j’ai décidé de ne me concentrer que sur le Capes : cela a payé. Mais une fois admise, je n’ai pas pu rester dans mon académie de Lyon pour l’année de stage et ai été affectée dans celle de Dijon, au Creusot. J’étais inquiète : cette ville ne m’évoquait rien de bien positif, dans un espace en déclin marqué par des problématiques de violences et de misère.
Quand on commence, on est jeté directement dans le grand bain, et on a peur de ne pas être armés face à des adolescents qui peuvent cumuler les difficultés scolaires ou sociales. Je me suis raccrochée d’abord, dans la préparation de mes cours, à un site de l’éducation nationale qui donne des indications sur comment mettre en œuvre les premiers chapitres. Ceux-ci sont très introductifs en seconde, et j’y ai passé un peu de temps en début d’année pour mieux me familiariser avec ma posture d’enseignante. Parce qu’il y a un très vif syndrome d’imposteur qui nous assaille : d’élève à prof en un jour, la transition est perturbante.
Le respect, dans les deux sens
J’ai posé très vite les bases du respect avec mes élèves, leur expliquant que cela allait dans les deux sens. Ils se sont révélés plutôt dans la moyenne, ni brillants ni mauvais. Mais être prof, ce n’est pas seulement enseigner : il faut penser à une multitude de choses en même temps, du fait d’avoir un œil sur la progression et l’attention de chacun à la nécessité de noter si on pressent un souci avec un élève. S’il arrive quelque chose juste après l’heure de cours avec l’un d’eux, nous en portons une partie de la responsabilité.
L’administration, les personnels de direction, les rectorats et les parents d’élèves ne sont pas forcément de notre côté, et il y a un manque de communication entre tous ces mondes
C’est à nous de mener la barque, alors qu’on n’a clairement pas toutes les clés en main. Cette année, j’ai eu en cours une élève aux idées suicidaires : personne ne nous apprend à gérer ça. On devient la figure responsable devant des élèves qui ont tous des problèmes différents. Et en sentant qu’on aura peu d’alliés en cas d’erreur. Stagiaires, nous sommes accompagnés par un tuteur, mais nous restons un peu seuls. Rapidement, je me suis confrontée aux nombreux problèmes qui phagocytent l’éducation nationale. L’administration, les personnels de direction, les rectorats, et les parents d’élèves ne sont pas forcément de notre côté, et il y a un manque de communication entre tous ces mondes.
Les parents se sont vu ouvrir grand la porte de l’école et peuvent nous écrire à n’importe quelle heure pour contester une note. Les enseignants se retrouvent avec un devoir constant de rendre des comptes : nous sommes recrutés à bac + 5 et après un concours, mais on doit justifier sans cesse notre expertise. Les parents s’immiscent très rapidement dans la vie de l’établissement, jusque dans le conseil de classe où l’avis d’un enseignant qui voit bien qu’un élève n’aura pas les épaules pour passer l’année suivante en première peut être vite balayé par la famille.
Faute de place dans les classes, on a de toute façon tendance à éviter le redoublement. J’ai vu la problématique des fermetures de classes dans mon lycée où, à cette rentrée, des classes seront supprimées et certaines automatiquement plus surchargées. On ne peut pas amener tout le monde sur un chemin de réussite dans des classes à 35 élèves, et c’est hyperfrustrant. Ces difficultés, on les ramène à la maison, on les ressasse sur la route du retour parce qu’on a face à nous des destins particuliers qu’on aimerait accompagner au mieux.
Un manque de moyens criant
Le point commun à tous ces problèmes est un manque de moyens criant. Cela se voit dès notre salaire : je suis en recherche d’appartement et les agences refusent mon dossier pour des loyers à 500 euros. La première année, on gagne 1 450 euros net et, avec l’inflation, c’est devenu très compliqué. Les trajets entre le Creusot et Dijon, où se trouve l’Inspe où je devais suivre neuf heures de formation hebdomadaires en parallèle des cours, ont pesé lourd : nous avons une indemnité forfaitaire de 100 euros mensuels, mais chaque aller-retour en train me coûtait 36 euros (au moins deux fois par semaine). Je terminais certains mois très juste.
Cela m’interroge beaucoup sur l’investissement qu’on est prêt à mettre dans l’éducation : à comparer avec le salaire de mes amis au même niveau de diplôme, voire en dessous, je quitterais la barque immédiatement si je n’étais passionnée par ce métier et sa dimension de transmission. Quand, ensuite, on voit que l’argent nécessaire au fonctionnement a minima de nos classes est gaspillé dans des mesures comme le service national universel, on se dit qu’on va dans le mur. Et, de nos jours, il est vraiment honteux de voir l’Etat mettre en place ces « job datings », par lesquels sont recrutés des contractuels, précarisés et constamment sur la sellette.
S’ajoute à ça un vrai labyrinthe administratif, auquel on se heurte sans n’y rien comprendre si on n’est pas accompagné. Notamment pour le remplissage des vœux d’affectation, où les règles ne sont pas très transparentes et où il faut connaître les stratégies à adopter. Heureusement, j’ai pu revendiquer un rapprochement avec mon conjoint, avec qui je suis pacsée, qui est à Lyon. J’ai eu un poste dans une localité rurale à un peu de plus d’une heure de Lyon. Je mesure ma chance d’avoir eu un poste fixe dans un collège qui a l’air tranquille.
Cette première année fut éprouvante, avec la découverte de ces dysfonctionnements et le tâtonnement sur la posture enseignante, mais aussi enrichissante. Ce qui rend le métier magique est le rapport aux élèves. Ce sont des personnalités très attachantes. Certaines heures, ils peuvent être infects, et puis d’autres, il y a des déclics. Beaucoup sont très demandeurs, ont l’envie d’apprendre et d’être dans l’échange, à rebours de l’image de cette génération. Pendant un an, j’ai été confrontée au pire comme au meilleur. Le meilleur vient des élèves et nous fait oublier le reste.
« Premières fois » : récits de vie au moment du passage à l’âge adulte. Si vous souhaitez témoigner, écrivez-nous à campus@lemonde.fr
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