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mardi 30 août 2022

Des magistrats contestent les pratiques du contrôleur général des prisons

Par   Publié le 29 août 2022

Dans une attaque inédite depuis sa création, l’institution dirigée par Dominique Simonnot est mise en cause auprès du ministre de la justice par l’Union syndicale des magistrats.

Une cellule de la prison de Tatutu à Papeari, à Tahiti, en 2017.

C’est une attaque inédite dont est l’objet le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) de la part de magistrats. L’Union syndicale des magistrats (USM), leur principal syndicat, a saisi le ministre de la justice de pratiques qui lui paraissent « sortir de son rôle d’autorité administrative indépendante ». Dans un courrier envoyé durant l’été à Eric Dupond-Moretti, Céline Parisot, présidente de l’USM, dénonce « un empiètement non acceptable dans la sphère de l’acte juridictionnel ».

Le point de départ de cette guerre d’interprétation au sujet du rôle du CGLPL est la visite d’une équipe de contrôleurs dans deux des quatre établissements pénitentiaires de Polynésie, Faa’a-Nuutania et Tatutu, dans la ville de Papeari, en mai 2022. Dominique Simonnot, la contrôleuse générale, a écrit le 1er juin au ministre de la justice pour l’alerter de constats faits sur place. Dans cette lettre non destinée à être rendue publique, que Le Monde a pu lire, sont évoqués des « dysfonctionnements » au tribunal de Papeete qui « entraînent des atteintes graves aux droits fondamentaux des personnes détenues ».

Ce courrier relate, par exemple, « des situations humainement inacceptables », conséquence du sous-effectif au service de l’exécution des peines du parquet de Papeete. Comme le cas de détenus arrivés en fin de peine, attendus par leur famille devant la prison le jour annoncé de leur sortie, à qui on signifie la mise à exécution « d’une peine antérieure et parfois ancienne, alors que les services du tribunal en sont informés depuis des semaines, voire des mois ».

Ce sont surtout les constats dressés par Mme Simonnot sur l’application des peines et les aménagements qui font bondir l’USM. Le syndicat a récupéré la lettre du 1er juin par ses propres réseaux.

« C’est ma mission »

« La politique d’aménagement de peine est par ailleurs illisible, excessivement restrictive et en complet décalage avec l’esprit de la loi de programmation de la justice », écrit la contrôleuse générale. Et de citer un taux de rejet de 80 % des demandes de libération sous contrainte ou « des exigences qui ne sont prévues par aucun texte de loi » imposées aux détenus sollicitant une permission de sortir, comme le versement mensuel aux parties civiles ou au Trésor public de 30 % à 50 % de leurs ressources, « même pour les indigents ». Les pratiques en matière de réduction supplémentaires de peine sont jugées « rigides et d’une sévérité excessive ».

La juridiction polynésienne ne comptant qu’un seul juge de l’application des peines, ces critiques ont été lues par l’USM comme des attaques ad hominem« La mission du CGLPL n’est pas de dire que les juges font bien ou mal », insiste Cécile Mamelin, vice-présidente de l’USM, selon qui la collègue de Papeete a été convoquée par ses chefs de cour depuis.

En dépit des critiques récurrentes des trois contrôleurs généraux successifs, Jean-Marie Delarue, Adeline Hazan et Dominique Simonnot (depuis 2020), sur la part trop importante de la prison dans les sanctions pénales décidées par les juges, les syndicats de magistrats n’avaient jusqu’ici pas contesté leurs propos.

« Quand on voit une surpopulation carcérale démentielle, il est normal que j’interroge la politique pénale », Dominique Simonnot

Dominique Simonnot se dit aujourd’hui « très surprise » de cette mise en cause. « Je ne veux absolument pas attenter à l’indépendance juridictionnelle des magistrats. Mais quand on voit une surpopulation carcérale démentielle, il est normal que j’interroge la politique pénale. C’est ma mission », affirme-t-elle. Et de citer l’exemple d’un contrôle effectué en juin à la prison de Bordeaux-Gradignan suivi de la publication, en juillet, d’un rapport d’alerte au Journal officiel « J’ai dit aux chefs de cour que je trouvais obscène d’envoyer quelqu’un dans cette prison occupée à 240 % de sa capacité. C’est sûr que je les ai choqués. Mais on a discuté et ils n’ont pas trouvé que je sortais de ma mission en disant cela. »

« Du militantisme »

Autre grief dont la présidente de l’USM a saisi Eric Dupond-Moretti, l’intention de la contrôleuse générale d’encourager les avocats à se saisir de la procédure instaurée par la loi du 8 avril 2021 permettant à un détenu de saisir le tribunal judiciaire de conditions indignes de détention pour y mettre fin.

Mme Parisot se réfère au communiqué du Syndicat national des directeurs pénitentiaires (SNDP-CFDT) publié le 23 juin à l’issue d’une rencontre avec Mme Simonnot. « La CGLPL propose, sous l’égide des avocats, l’organisation de recours de masse contre les conditions indignes de détention afin d’obliger les magistrats à s’intéresser plus sérieusement à la question de la surpopulation pénale », écrit le syndicat, pas choqué le moins du monde. Dans ce même communiqué, le SNDP-CFDT souligne le constat partagé sur « les conséquences néfastes de la surpopulation carcérale sur la prise en charge pluridisciplinaire des personnes détenues » et « la nécessité d’inscrire dans la loi la régulation carcérale ». Dominique Simonnot compte d’ailleurs inviter à une prochaine table ronde consacrée à cette question les syndicats de magistrats, de personnels pénitentiaires et d’avocats, ainsi que des associations.

Pour Cécile Mamelin, « cet appel à une action de masse des avocats relève du militantisme et non de la mission d’une autorité administrative indépendante ».  « Me reprocher de faire vivre cette loi sur le droit au respect de la dignité est un comble », affirme au contraire la contrôleuse générale. Elle avait jugé ce texte insuffisant lors des débats parlementaires, mais estime que « c’est mieux que rien ».

Au ministère de la justice, on ne compte manifestement pas répondre à cette mise en cause du CGLPL. « Le ministre respecte autant l’indépendance des magistrats que celle des autorités administratives indépendantes », souligne son entourage. Toutefois, Eric Dupond-Moretti aurait ordonné à l’inspection générale de la justice de mener une enquête au tribunal de Papeete.


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