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samedi 3 septembre 2022

« Les activités organisées en détention réduisent le risque de récidive »

La maîtresse de conférences en sciences criminelles Joana Falxa bat en brèche la polémique née autour du kart pratiqué dans la prison de Fresnes. Dans une tribune au « Monde », elle appelle au contraire à développer les activités socioculturelles et sportives en milieu carcéral.

Telle la grenouille de la fable, la polémique enfle à n’en plus finir. Puisse-t-elle connaître le même sort que l’animal. La direction du centre pénitentiaire de Fresnes [Val-de-Marne] a organisé (à l’aide d’un partenariat privé) une compétition opposant personnes détenues, jeunes Fresnois et personnels pénitentiaires, au cours de laquelle se mêlaient questionnaire de culture générale, tir à la corde au-dessus d’un bassin et course de karting.

Dans le tintamarre des réactions indignées face à ce non-événement – réactions qui occultent les véritables maux de nombreux établissements pénitentiaires français (surpopulation, conditions de détention indignes) –, la question des activités menées en milieu pénitentiaire et de leur objectif semble rapidement éludée. Si le ministre de la justice [Eric Dupond-Moretti], dans son tweet, a ouvert la porte à ce déferlement d’arguments sourds, il soulève incidemment la question qui devrait être centrale : celle de la manière dont le temps de la détention est occupé, cet « impensé » de la peine (Corinne Rostaing, Yasmine Bouagga).

Il existe pourtant des systèmes qui pensent ce temps de la peine et tentent d’en faire quelque chose. Les pays scandinaves, souvent cités en exemple, proposent dans leurs établissements des programmes d’activités variées (ateliers de cuisine, bricolage, yoga, méditation, sports collectifs, activités agricoles ou jardinage) pour répondre à l’obligation d’activité imposée par la loi. Ainsi, en Suède, chaque détenu passe entre quatre et cinq heures en activité par jour (là où la loi prévoit un minimum de six heures).

Certains de nos voisins ont aussi développé des politiques pénitentiaires visant à assurer une occupation au plus grand nombre de détenus et un suivi individualisé : en Espagne, les textes applicables prévoient que le « traitement pénitentiaire » (suivi de la personne détenue tout au long de l’exécution de la peine) est entendu au sens large, comprenant « non seulement les activités d’assistance thérapeutique, de formation, d’emploi et d’éducation, mais également les activités socioculturelles, récréatives et sportives ». Ainsi, la journée standard d’un détenu espagnol devrait comprendre six heures d’activités volontaires journalières. Si les objectifs affichés ne sont pas toujours atteints, la réflexion sur l’occupation du temps de la peine a le mérite d’exister.

« Recréer du lien »

La peine est une sanction prononcée par l’autorité judiciaire en réaction à la commission d’une infraction pénale. Ses objectifs sont fixés par la loi : elle vise bien évidemment à sanctionner (il s’agit de l’aspect dit « rétributif » de la peine), ce que n’oublient jamais nos politiques. Mais elle vise également à prévenir la récidive, en particulier par la voie de la réinsertion. Cela signifie que la personne condamnée à une peine privative de liberté doit pouvoir préparer son retour dans la société par la mise en place d’activités.

L’accent est souvent mis sur le travail et sur la formation. Dans l’idéal sécuritaire contemporain, toute occupation proposée aux détenus devrait ainsi être exclusivement tournée vers la préparation à la sortie, dans une logique d’insertion économique et de sécurité publique. Néanmoins, outre la difficulté de procurer un emploi ou une formation à l’ensemble de la population détenue, la réinsertion ne saurait se limiter à ces aspects : le retour dans la société nécessite le maintien de liens sociaux, qui doivent être alimentés pendant la durée d’incarcération. Ainsi, d’autres activités, dites « culturelles », « socioculturelles » ou « sportives », sont depuis bien longtemps déjà proposées en détention, avec l’idée notamment de « recréer du lien », dans un milieu pénitentiaire traversé par de vives tensions.

Des études tendent ainsi à démontrer que ces activités jouent un rôle considérable dans la réappropriation de l’image personnelle et de l’identité des personnes détenues, dans le renforcement du lien social et des interactions humaines, ainsi que dans l’apaisement des relations intracarcérales. Or, ce tissu social retrouvé autour d’activités parfois ludiques ou récréatives, tels des championnats sportifs, des concerts, des sorties culturelles ou même des sauts en parachute organisés pour les personnes détenues, viennent rappeler que « la prison n’est pas un monde à part, [qu’]elle fait partie de la société »(Corinne Rostaing, Une institution dégradante, la prison, Gallimard, 2021). Les activités organisées poursuivent ainsi l’objectif de réinsertion assigné à la peine.

Offre insuffisante

Que ce soit en Italie, en Espagne, au Canada, en Suède ou en Norvège, les chercheurs observent que les taux de récidive diminuent chez les détenus qui sortent d’établissements proposant des offres d’activités variées et en nombre suffisant. De tels programmes, doublés d’une prise en charge psychologique pertinente, semblent réduire le risque de récidive.

S’il est difficile, faute de référentiel commun, de comparer les taux de récidive entre Etats européens, une chose est sûre : les établissements français sont, à quelques exceptions près, loin de parvenir à un tel résultat.

De fait, le ministère de la justice, malgré des efforts, peine à assurer un budget permettant d’envisager la mise en place d’activités structurées, diversifiées, pérennes et régulières dans l’ensemble des établissements pénitentiaires, et ce malgré l’obligation prévue par la loi. L’offre insuffisante signifie, pour de nombreux détenus, ne disposer d’autre activité journalière que la sortie en promenade, pour une à deux heures. « L’oisiveté est mère de tous les vices », dit le proverbe. En prison, elle est source de promiscuité, de violences, d’automutilations, voire de nouvelle activité délinquante. A une échelle moindre, proposer des activités présente l’avantage de lutter contre le désœuvrement des détenus et de contribuer à une gestion apaisée de la détention.

Aussi, plutôt que de s’acharner contre la moindre initiative menée en détention, il conviendrait de se saisir des nombreuses expériences qui on fait leurs preuves et d’y consacrer les moyens suffisants pour mener une politique pénitentiaire ambitieuse.


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