par Cassandre Leray publié le 1er septembre 2022
Première rentrée depuis que le harcèlement scolaire a fait son apparition dans le code pénal comme délit spécifique. Selon des chiffres du ministère de l’Education nationale, 700 000 élèves sur 12 millions en sont victimes tous les ans. Un sujet dont Emmanuel Macron s’est emparé mercredi, à la veille de reprise des cours. Dans une vidéo TikTok, le président de la République le souligne : la rentrée scolaire ne doit pas être «synonyme de calvaire». Il ajoute que «trop d’élèves» subissent ces violences quotidiennes, et appelle les jeunes à témoigner : «Parlez-en. Dénoncez-le. On ne lâchera rien face à ceux qui vous rendent la vie impossible.»
Depuis le 3 mars, une loi, publiée au Journal officiel, pénalise le harcèlement scolaire, qui faisait partie jusque-là du délit plus général de harcèlement moral. Le site de l’administration française définit le harcèlement scolaire comme «le fait pour un élève ou un groupe d’élèves de faire subir de manière répétée à un camarade des propos ou des comportements agressifs» comme «les moqueries, les brimades, les humiliations, les insultes». Les harceleurs peuvent désormais être condamnés à une peine allant de trois à dix ans d’emprisonnement et une amende variant entre 45 000 à 150 000 euros, les peines les plus élevées étant prononcées en cas de suicide ou tentative de suicide de la victime. Laure Boutron-Marmion, avocate pénaliste spécialisée en droit pénal des mineurs, revient sur cette évolution positive mais regrette l’absence d’obligations faites aux établissements scolaires.
Quels changements impliquent cette loi ?
Pour l’instant, il est trop tôt pour faire un avant-après, mais ce qui est sûr, c’est qu’il existe enfin dans la loi quelque chose propre à ce fléau. Si le délit de harcèlement moral nous permettait déjà d’aller en justice, cette infraction correspondait parfois un peu moins à la situation et compliquait le combat judiciaire des familles.
La différence significative, c’est que l’on est vraiment sur des peines élevées. La loi qui pénalise le délit de harcèlement moral implique des peines allant d’un à trois ans d’emprisonnement selon les circonstances. Là, on est sur trois, cinq ou dix ans d’emprisonnement en cas de suicide ou tentative de suicide de la victime harcelée.
Ce délit spécifique va aussi faciliter le travail de pédagogie auprès des enfants comme des enseignants et acteurs de la vie scolaire. Il s’agit d’un symbole fort dans la lutte contre le harcèlement scolaire, même si cela reste une étape. Il y a encore beaucoup à faire.
La justice traite-t-elle efficacement ces plaintes à ce stade ?
Aujourd’hui, très peu de familles déposent plainte. Un travail d’appropriation est à faire par tous : chez les procureurs, dans les juridictions, pour véritablement prendre le sujet au sérieux. C’est ce qui pèche.
Souvent, puisque les auteurs sont des mineurs aussi, on va leur trouver des circonstances atténuantes et tenter d’expliquer leur comportement. Très vite, on arrive à un procès subliminal de la victime. On déporte insidieusement le débat en cherchant les fragilités qu’aurait éventuellement la victime ou en sous-entendant qu’elle prenait les choses trop à cœur et qu’il s’agissait seulement de chamailleries.
Il y a aussi le problème du temps qui passe : en termes de prescription, il est possible de porter plainte jusqu’à six ans après les faits. Mais le travail d’enquête est plus délicat quand il est fait tardivement, les preuves se perdent et les condamnations sont plus dures à avoir. Pour les familles, la priorité n’est pas forcément le combat judiciaire parce qu’elles doivent déjà prendre en charge leur enfant en danger et trouver des solutions pour l’aider à surmonter le traumatisme vécu et poursuivre une scolarité sereine. Après, elles n’ont parfois plus l’énergie de se battre.
Il est aussi indiqué que cette loi «améliore le droit à une scolarité sans harcèlement». Pensez-vous que cela soit suffisant ?
Aujourd’hui, dans le code de l’éducation, on dit que tout élève a le droit de jouir d’une scolarité sereine et paisible. On demande également aux conseils d’administration des établissements de mettre en place un protocole anti-harcèlement. Mais très concrètement, il n’y a pas de sanction si ce n’est pas fait. C’est là la plus grande limite de cette loi. Toutefois, les établissements scolaires ne sont pas complètement intouchables. Un chef d’établissement qui n’a pris aucune mesure peut être poursuivi pour d’autres délits, tels que la mise en danger d’autrui ou l’homicide involontaire en cas de suicide.
Si l’on est face à un chef d’établissement qui a à cœur de bien faire les choses, cela se passera bien, des formations vont être mises en place, des sanctions prises. Mais il y a aussi des chefs d’établissement qui sont aux abonnés absents sur ces questions, laissant les enfants livrés à eux-mêmes. Sans obligation, la lutte contre le harcèlement scolaire est soumise au bon vouloir des établissements.
Au-delà de se doter d’un arsenal pénal, les pays les plus avancés sur ces questions ont également travaillé sur un arsenal réglementaire avec des obligations précises pour les établissements scolaires. C’est ainsi qu’ils ont pu diminuer l’ampleur de ce fléau.
Comparée à certains de ses homologues européens, la France ne légifère que tardivement sur ce sujet…
On a effectivement une dizaine d’années de retard. Ceux qui ont légiféré le plus tôt l’ont fait dès 2007. C’est aussi pour cela que l’on tâtonne encore. Le délit pénal, c’est très bien, mais la prochaine étape, c’est d’aller plus loin que de simples incitations faites aux établissements. Notamment en donnant par exemple pouvoir au directeur d’école de réfléchir à une réponse plus immédiate à l’encontre de l’élève harceleur comme son expulsion temporaire, après commission de discipline. Finalement, souvent, le problème se résout par un changement d’école de la victime. C’est quand même extrêmement choquant de savoir que l’enfant subissant le harcèlement est celui qui part de l’établissement scolaire. Il faut évidemment saluer cette loi, mais on doit encore avancer car on ne peut s’en contenter.
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